
Des « hordes en haillons » à l’assaut des bonnes gens. Si Louis-H. Campagna, citoyen engagé de Québec, parlait d’« un vieux rêve issue de vieilles idées, une palissade immobilière érigée afin de défendre les bonnes et honnêtes gens du Vieux-Port et du Vieux-Québec contre les hordes en haillons de St-Roch et de Limoilou », en tant que sociologue, je dois me rendre à une évidence : l’expression « hordes de haillons » vise le discours politicien de revitalisation des quartiers.
Depuis plus de 15 ans, le quartier St-Roch de Québec est en plein processus de revitalisation, et malgré tout, les « haillons » le hante toujours. Notre système économique a quelque chose d’irréductible : non seulement sécrète-t-il de la pauvreté, mais il en produit de plus en plus, inévitablement.
Si on se fie aux données publiées par l’économiste Thomas Picketty dans son livre intitulé Le capital au XXIe siècle, et j’en prends pour preuve cette photographie, ce cliché, qui a été pris le 12 mai 2016 sur le parvis de l’église St-Roch, alors que je m’y trouvais avec mes étudiants du cours Sociologie Visuelle, rend compte de toute l’ironie visuelle possible. Tout d’abord, l’homme, étendu sur son sac de couchage devant l’une des immenses portes fermées de l’église St-Roch. Deuxièmement, le balai, à droite, appuyé sur le porche. Troisièmement, le message affiché sur la porte qui enjoint les gens de donner à la paroisse pour l’entretien de l’église.
Ces trois composantes visuelles forment une situation sociale contrastée, en ce sens que ce « décor » se retrouve dans la portion revitalisée du quartier Saint-Roch de Québec où des commerces haut de gamme ont pignon sur rue à environ 15 mètres de l’homme couché sur l’une des marches du parvis de l’église.
Et l’ironie visuelle se trouve définitivement dans le balai, comme s’il suffisait de balayer les « haillons » pour s’en débarrasser. Au final, les « hordes de haillons » sont aussi irréductibles que la revitalisation qui veut les écarter du regard.
© Pierre Fraser (Ph.D.), sociologue / texte et photo