Journée de pêche urbaine
Trois grandes approches théoriques sont généralement reconnues pour soutenir la démarche en sociologie visuelle : (i) l’approche anthropologique et ses méthodes photographiques qui rendent compte de la culture ; (ii) les techniques de photojournalisme où les photographies sont considérées comme des preuves, c’est-à-dire des représentations de la réalité, ni plus ni moins qu’un enregistrement simple et efficace d’un phénomène ou d’un événement ; (iii) la perspective poststructuraliste où les images construisent la réalité.
Ce qui fédère ces trois approches, c’est l’idée que les images et les vidéos sont avant tout considérées comme des textes qui peuvent être « lus » afin de révéler leur signification sociale plus large, les idéologies qu’elles véhiculent et les messages qu’elles communiquent.
Citer cet article
Fraser, P. (2021). « Le statut global de l’image en sociologie visuelle ». Revue de Sociologie Visuelle : Territoires visuels, vol. 1, n°1 , p. 37-40. ISBN : 978-2-923690-6-2.
Le chercheur britannique John Tagg, spécialiste de l’histoire de la photographie, a bien résumé la position de l’image : elle est une « rhétorique de la vérité mobilisée1 ». Que faut-il entendre par cette position ? En fait, l’avantage de l’image ou de la vidéo, c’est qu’elle est en mesure de représenter une multitude de situations sociales qu’il est possible par la suite d’interpréter de différentes façons en fonction de l’angle d’analyse sociologique privilégié. Par exemple, une photographie ou une vidéo montrant un pêcheur peut représenter le rôle social qu’investit un individu le week-end venu (activité de loisir), ou bien, un individu dont c’est la principale source de revenu.
La vidéo de gauche est significative en ce sens, car sans disposer d’aucune description préalable, il est possible de se rendre compte que le pêcheur en question s’adonne à une activité de loisir. Elle révèle également un certain statut social, car le pêcheur en question est vêtu de l’habillement approprié pour s’adonner à cette activité, habillement qui vaut au bas mot 170 $, il dispose d’une canne à pêche dernier cri (120 $) et d’un moulinet de haute précision (240 $). La date où la photo a été prise (7 juin 2015) indique qu’il s’agit vraisemblablement d’un individu qui ne travaille pas le week-end (ou qu’il ne travaillait pas cette fin de semaine précise), et qu’il est en mesure de profiter de ses moments de loisirs. Concrètement, le contexte dans lequel une image ou une vidéo a été captée déploie en bonne partie la portée sociale de celle-ci.
La pêche comme activité familiale

Référence
[1] Tagg, J. (1988), The Burden of Representation: Essays on Photographies and Histories, Minneapolis: University of Minnesota Press.
[2] St-Jean, M. (2010), Métamorphose de la représentation sociale du corps dans la société occidentale contemporaine, Thèse de doctorat, UQAM, URL: https://archipel.uqam.ca/3756/1/D1938.pdf.
Faut-il ici souligner que l’allure même d’un vêtement signale l’appartenance à un groupe social ou à une classe sociale donnée. En fait, et c’est là où les choses deviennent intéressantes, c’est que si on s’y mettait et qu’on analysait les vêtements que porte la jeune femme, ainsi que le type de valise qu’elle tire, la posture de son corps et la position de sa tête, ceux-ci pourraient nous en dire beaucoup sur sa position personnelle sur le gradient social, tout comme si on procédait à la même analyse pour l’homme à l’arrière-plan ; il y a ici toute une sociologie des postures du corps et de la mode à convoquer.
En fait, le statut socio-économique d’une personne se reflète non seulement dans des indices subtils tels que certains mouvements du corps lorsqu’elle est en relation avec d’autres personnes, mais aussi dans le fait que les inégalités sociales sont reproduites par le corps d’où l’idée que « le corps social fait du corps individuel la courroie de réception, de transmission et de transformation de son ordre symbolique [où] le corps individuel est toujours engendré par l’information à partir de laquelle le corps est socialement construit et reconnu. C’est cette information qui soutient, de façon synchronique, une vision particulière du corps social et du corps individuel2. »
Donc, en partant de plusieurs photos, il devient dès lors possible de restituer de véritables résultats en autant que l’on fasse une fidèle description de ce qui constitue la représentation de chacune des photos, que l’on en identifie correctement les contextes respectifs, et que l’on puisse parvenir à une interprétation somme toute relativement fiable.