
Les innombrables repères visuels disséminés partout dans un quelconque quartier circonscrivent un territoire social invisible sous-jacent (le social et le sociétal), en épaisseur, qui se superpose à l’espace géographique, d’où des repères, des parcours, des réseaux, des frontières, des lieux-mouvements et des franges qui régissent la vie sociale dans son ensemble.
Définition
- 1. Un territoire visuel est avant tout géographiquement délimité : il correspond généralement à un quartier ou à des aires aux propriétés et caractéristiques visuelles similaires.
- 2. Un territoire visuel se positionne par rapport à l’espace territorial global sous forme de filtres superposés spécifiques ou généraux, inclusifs ou exclusifs.
- 3. Un territoire visuel est essentiellement composé de réseaux visuels (le social et le sociétal, l’intangible) et de parcours visuels (l’espace et le territoire, le tangible) que construisent certains types de repères visuels.
- 4. Un territoire visuel est socialement identifiable et interprétable par ceux qui l’habitent.
La notion de territoire visuel se veut avant tout un dispositif permettant d’analyser les images fixes et animées. Nous avons pour idée que si le rôle de la sociologie visuelle est de se cantonner à ne présenter que des images pour traduire certaines réalités sociales, elle est forcément un sous-produit de la méthode sociologique et ne peut alors prétendre à son autonomie en tant que discipline à part entière. Auquel cas, si la sociologie visuelle ne doit être qu’une réplique du photojournalisme ou du documentaire photographique, certaines des célèbres photographies d’Henri Cartier-Bresson peuvent très bien faire l’affaire. En revanche, si une grille d’analyse permet de qualifier ce qui constitue le visuel, tout comme de comprendre comment le visuel s’inscrit dans un territoire et dans le social, il devient dès lors possible de procéder à des analyses sociologiques qui produisent de la connaissance où se conjuguent la construction de l’objet, le travail de terrain et les outils méthodologiques. Ce faisant, il devient possible de traiter l’image comme un modèle d’expression, de communication, de monstration et de démonstration, en somme, un outil qui rassemble les trois principes fondamentaux d’une analyse sociologique : la description, la recherche des contextes, l’interprétation. Pour y parvenir, nous proposons six concepts clés qui articulent la notion de territoire visuel : repères visuels, réseaux visuels, parcours visuels, frontières visuelles, frange visuelles, lieux-mouvements.
Concrètement, nous faisons de la notion de repère visuel l’unité minimale constituante d’un territoire visuel, ce qui permet de construire des réseaux visuels (le social et le sociétal) et des parcours visuels (l’espace et le territoire) eux-mêmes constitués de franges visuelles, de frontières visuelles et de lieux-mouvements qui les caractérisent et les délimitent. En fait, la ville comme macroterritoire se fragmente ainsi en une multitude de microterritoires (quartiers, espaces publics dédiés, bâtiments) possédant leurs propres repères, réseaux et parcours visuels.
Tout cela suppose des réseaux et des parcours jalonnés de repères visuels qui renvoient à des pratiques sociales spécifiques et différenciées. Dans un quartier en processus d’embourgeoisement ou déjà embourgeoisé, en matière de parcours visuel (l’espace et le territoire), tout l’espace physique est structuré autour de repères visuels destinés à signaler l’embourgeoisement progressif du quartier par un aménagement spécifique, depuis le type de mobilier urbain, en passant par la conservation de bâtiments âgés bien entretenus, jusqu’aux commerces de proximité destinés à une clientèle favorisée côtoyant des services d’aide sociale destinés à une clientèle moins nantie. Ici, réseaux visuels et parcours visuels se superposent, constitués de plusieurs couches de représentations sociales que rend directement accessible la photographie ou la vidéo.
© Georges Vignaux (PhD) et Pierre Fraser (PhD), 2016 / texte
© Photo entête : Denis Harvey (2019, Chûte-aux-Outardes, Côte-Nord, Québec)
© Photo d’article : Pierre Fraser (2018)
© Vidéo : Pierre Fraser (2021)