
Pour les médecins du XIXe siècle, il est désormais clair que non seulement l’activité physique brûle les graisses, mais qu’elle redonne sa vitalité au corps, ce que confirme l’observation empirique, car elle permet de dire que l’activité physique refaçonne effectivement le corps en découpant les muscles, en les mettant en saillie, en les faisant ressortir. Partant de là, comment est-il possible d’ignorer ou de douter des bienfaits de l’activité physique, alors que des muscles abdominaux fermes et vigoureux sont la meilleure ceinture contre l’obésité ? Aux États-Unis, c’est donc tout le mouvement de la Muscular Christianity, au milieu du XIXe siècle, en affirmant que la moralité est autant une question de forme musculaire que de piété religieuse, qui reconfigurera systématiquement l’image corporelle de l’homme. En fait, ce déplacement est fondateur dans la construction de la corporéité des XXe et XXIe siècles en Occident.
L’un des personnages du roman de Charles Kingsley (1819-1875), Two Years Ago (1855), dira : « Vous détestez le péché. Eh bien, moi je déteste la maladie. Le démon de la morale est votre démon, le démon physique est le mien. Je déteste la maladie, bénigne ou grave ; je déteste voir un ami malade ; je déteste voir un enfant pâle et rachitique […] je déteste voir les choses être gaspillées, le fumier, les terres, les muscles, l’intelligence1. »
Au XIXe siècle, les chrétiens américains et européens posent un constat : celui d’une dégénérescence de la race. Dans cette Amérique travaillée par la Révolution industrielle s’opère progressivement tout un réaménagement des données économiques et sociales. Les réformes hygiénistes auront pour mission de combattre l’air vicié des villes, les mœurs corrompues de la cité et l’amollissement d’une population devenue de plus en plus sédentaire, population elle-même confrontée à de nouveaux maux tels que le surmenage et le stress urbain. C’est dans ce contexte que naît la Muscular Christianity.
Le chroniqueur du Saturday Review2, T.C. Sandars, après avoir lu l’ouvrage de Charles Kingsley, soulignera que : « Nous savons en quoi consiste maintenant la tâche de monsieur Kingsley : c’est de répandre son savoir et son amour inconditionnel pour le muscle. Son idéal d’homme est celui qui craint Dieu et qui peut marcher mille miles pendant plus de mille heures3. »

Les notions mêmes de saine alimentation et d’éducation physique seront élaborées à partir de fondements religieux chrétiens. En matière d’alimentation, en Angleterre et aux États-Unis, au milieu du XIXe siècle, différents courants spirituels chrétiens suggèrent que la purification de l’âme passe avant tout par la purification du corps, d’où l’idée de développer des approches de santé holistiques orientées vers une saine alimentation où il s’agit avant tout de préserver à la fois la santé de l’âme et du corps : céréales, fruits et légumes sont dès lors au menu. En matière d’éducation physique, aux États-Unis, c’est tout le mouvement de la Muscular Christianity, au milieu du XIXe siècle, en affirmant que la moralité est autant une question de forme musculaire que de piété religieuse, qui reconfigurera systématiquement l’image corporelle de l’homme.
Au XIXe siècle, les chrétiens américains et européens posent un constat : celui d’une dégénérescence de la race. Dans cette Amérique travaillée par la Révolution industrielle s’opère progressivement tout un réaménagement des données économiques et sociales. Les réformes hygiénistes, auront pour mission de combattre l’air vicié des villes, les mœurs corrompues de la cité et l’amollissement d’une population devenue de plus en plus sédentaire, population elle-même confrontée à de nouveaux maux tels que le surmenage et le stress urbain. C’est dans ce contexte que naît la Muscular Christianity.
© Pierre Fraser (PhD), 2022
L’éducateur physique américain Dudley Sargent (1849-1924), celui-là même qui sut systématisé l’utilisation des appareils de musculation au XIXe siècle, résumera l’époque en ces termes4: (i) « J’ai développé la virilité » ; (ii) « Tout homme qui n’est pas passé au travers d’un tel programme, peu importe qu’il soit naturellement fort ou en santé, est encore un homme peu développé » ; (iii) « La vie n’est rien d’autre qu’une longue compétition sportive. » Le réformateur américain William Blaikie (1843-1904), quant à lui, dira : « Votre corps témoigne de vos qualités morales. »
Son livre, How to Get Strong and How to Stay So, publié en 1883, remporte un vif succès et refaçonne littéralement la vision des Américains face à leur corps. Il leur a non seulement démontré tous les effets bénéfiques qu’ils pouvaient retirer d’un entraînement assidu et sérieux, mais il leur a aussi enseigné des méthodes pour y parvenir5. Si le corps en santé et musclé témoigne des qualités morales d’un individu, le muscle est forcément l’ami de l’ordre social. Ce qui est ici mis en évidence, c’est non seulement le fondement religieux et les valeurs morales qui sont associés au corps musclé et en bonne santé mais également le type de corps qui doit être atteint pour fonctionner dans le contexte du XIXe siècle, c’est-à-dire que le corps est bien une machine en action à l’image de toutes les machines qui peuplent l’univers de la Révolution industrielle.