La question de savoir si l’on peut esthétiser la pauvreté à travers la photographie est complexe et suscite des débats parmi les professionnels de l’image et les experts en éthique.

La question de savoir si l’on peut esthétiser la pauvreté à travers la photographie est complexe et suscite bien des débats parmi les professionnels de l’image et les experts en éthique.
La pratique de la sociologie visuelle consiste essentiellement à utiliser la photographie pour documenter et analyser des phénomènes sociaux, tels que les inégalités sociales, la diversité culturelle, les relations de pouvoir, etc. Dans cette pratique, la dimension esthétique de l’image peut sembler secondaire par rapport à sa fonction documentaire ou informative, mais elle peut également jouer un rôle important, notamment pour communiquer des messages, susciter des émotions ou des réactions, ou encore pour inciter le public à s’engager davantage sur certaines questions sociales. Ainsi en va-t-il de la représentation esthétique des inégalités sociales et particulièrement de la pauvreté, car elle crée une ambiance ou une atmosphère particulière, suscitant par là même une émotion ou une réaction émotionnelle, qui peut alors incité à réfléchir ou à agir sur la question sociale en question.
Peut-on dès lors affirmer que les trois photos de gauche (quartier Saint-Roch de Québec, 2022) contribuent réellement à montrer les inégalités sociales et à faire prendre conscience que, même dans un quartier en processus d’embourgeoisement, la pauvreté est et demeure un phénomène réel et persistant ?
D’une part, certains peuvent soutenir que la photographie esthétique peut aider à sensibiliser le public aux conditions difficiles dans lesquelles vivent les personnes défavorisées, et que certains types d’images puissent inspirer une action positive pour aider à améliorer leur situation. Dans ce sens, la photographie esthétique peut également être un moyen efficace de communiquer des messages porteurs afin de promouvoir certains changements de nature sociale.
D’autre part, certains critiques soutiennent que la représentation esthétique de la pauvreté peut être problématique, voire abusive et exploitante. Ces derniers affirment que la mise en scène de la pauvreté dans une optique artistique peut donner une fausse impression de la réalité et encourager à voir la pauvreté comme quelque chose empreint d’un certain esthétisme romantique ou pittoresque. De plus, l’utilisation de ces images, sans le consentement ou la participation active des sujets photographiés, peut perpétuer les stéréotypes et les préjugés en réduisant les personnes pauvres à des objets de curiosité ou de pitié. Cet aspect n’est ni banal ni trivial. De là, il faut se poser quelques questions :
- Ces photographies sont-elles utiles dans un monde visuel saturé d’images et d’informations ?
- Est-il possible que la surexposition de ces images ait fini par les rendre moins efficaces ou même contre-productives, en rendant le public moins réceptif à leur message ou en les faisant apparaître comme des stéréotypes ?
- Ces photographies représentant la pauvreté ont-elles un impact important, en particulier dans les contextes où les inégalités sociales restent élevées ou où la défavorisation est un enjeu majeur ?
La réponse à ces questions n’est pas simple et soulève bien d’autres questions quant à la représentation esthétique de la pauvreté :
- Comment respecter les droits et la dignité des sujets photographiés tout en évitant de les exploiter pour un gain personnel ou artistique ?
- Comment être conscients des effets potentiellement négatifs de ce type de photographie sur les personnes et les communautés qu’ils représentent ?
- Quelles mesures prendre pour en minimiser les effets ?
- Comment prendre en compte la dimension éthique pour représenter de manière authentique et respectueuse la réalité de la pauvreté ?
Malgré toutes les réponses ou constats que l’on pourrait obtenir en tentant de répondre à ces questions, un autre phénomène émerge qui en soulève plusieurs autres, du moment où les photographies sont générées par l’IA, ce qui est ici le cas (photos générées à partir de paramètres liés au quartier Saint-Roch lors de l’été 2022). De là, quels critères s’imposent alors pour traiter de l’esthétisation de la pauvreté ?
Il s’agit là d’un dossier à suivre, car l’IA doit-elle être exclue de la pratique de la sociologie visuelle ou intégrée en partie à celle-ci ?
© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023 | Photos générées par Dall-E.