Courants génératifs, alternatifs, continus

La sémiographie générative, en s’appuyant sur l’imagerie générative, permet de générer des images à partir de schémas textuels sémiotiques, qui organisent les significations d’un contexte visuel inexistant fabriqué par une intelligence artificielle.

Canalisée

De tous les éléments, l’eau est la merveille,
Elle gronde, elle ruisselle, elle scintille, elle émerveille.
Elle court en torrent, cascade impétueuse,
Frappe les rocs altiers, si majestueux.

Mais l’homme, avide d’or et de progrès,
Sous son emprise, l’eau a connu la tristesse.
Il la contraint, l’oblige à travailler,
Dans ses usines sombres, sans relâche, sans arrêter.

L’eau docile devient alors esclave,
Sous les roues, les turbines, elle s’aggrave.
Elle se courbe, se plie, sans mot dire,
Son énergie, capturée, l’industrie fait frémir.

Les moulins, jadis témoins d’une vie paisible,
Ont laissé place à l’usine, cet édifice terrible.
Les rivières, grondantes de leur force déchaînée,
Sont canalisées, canalisées sans pitié.

Pourtant, malgré l’oppression, l’eau reste puissante,
Elle se rebelle, se déchaîne, elle chante.
Dans les turbines infernales, elle rugit,
Comme pour rappeler qu’elle est force infinie.

Certains crieront à l’imposture intellectuelle, d’autres dénonceront le plagiat, plusieurs dénigreront l’imagerie générative, mais chose certaine, le génie est sortie de la bouteille et il sera impossible de l’y faire entrer à nouveau. D’où l’idée qu’il vaut mieux en explorer les arcanes que de se braquer contre ses possibilités. Et c’est ici que j’introduis la notion de sémiographie générative : la sémiographie générative, en s’appuyant sur l’imagerie générative, permet de générer des images à partir de schémas textuels sémiotiques, qui organisent les significations d’un contexte visuel inexistant fabriqué par une intelligence artificielle. Dans le cadre du présent exercice sémiographique, j’ai voulu explorer la dimension de l’eau, dans sa force, dans son écoulement, dans sa retenue et dans son déploiement. Le résultat est intéressant à plus d’un égard, car il permet d’entrevoir non seulement certaines possibilités sur le plan artistique, mais d’explorer aussi différentes dimensions iconiques de l’eau, voire de la recaler, dans ce contexte, dans son industrialisation.

© Texte : Pierre Fraser, 2023
© Poème : Claude Forrest, 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Un pain baguette, un camembert, une coupe de vin rouge

Ces trois icônes de l’alimentation française transcendent leur simple fonction nourricière pour devenir des signes culturels et symboliques d’une certaine histoire de la France. Si la baguette de pain reflète l’histoire sociale et économique du pays, si le fromage, quant à lui, est profondément enraciné dans les traditions agricoles et rurales françaises, le vin rouge, pour sa part, symbolise non seulement le savoir-faire viticole français, mais renvoie aussi à une certaine façon de vivre empreinte de plaisir.

Trinité sacrée

Ô délices de la table, trinité sacrée,
Symboles enchantés de la France éternelle,
La baguette de pain, le fromage et le vin rouge,
Vos noms résonnent comme un chant dans les cieux.

Qu’il est doux, le parfum de la baguette fraîche,
La promesse dorée d’une mie tendre et chaude,
Sa croûte croustillante, fine et bien dorée,
Dévoile en son secret les merveilles de la pâte.

Des champs de blé doré jusqu’à nos tables fières,
La baguette est le lien de notre patrimoine,
Témoin des siècles passés, de l’artisanat pur,
Elle incarne l’essence même de notre âme.

Et toi, noble fromage, d’une variété infinie,
Dans ta diversité, tu charmes tous les palais,
Du Camembert fondant au goût suave et crémeux,
Au Roquefort puissant, bleu comme les cieux.

Au-delà de tes formes, c’est ton histoire qui parle,
Chaque région est fière de son précieux trésor,
De la Normandie aux Alpes, des plaines aux vallées,
Tu es l’âme de nos terroirs, le reflet de nos vies.

Le vin rouge, roi des nectars et des plaisirs,
De tes vignes se dessine l’essence de nos terres,
Dans les verres cristallins, ton élixir s’écoule,
Rouge comme le sang qui anime nos cœurs ardents.

Bordeaux, Bourgogne, Champagne et tant d’autres,
Chacune offre au monde sa palette de saveurs,
Fruits mûris par le soleil, caressés par le vent,
Tu enchantes les papilles, tu nourris nos rêves.

Baguette, fromage, vin rouge, trinité sacrée,
Icônes immortelles de notre gastronomie,
Symboles d’une nation fière et passionnée,
Vous demeurez gravés dans notre mémoire infinie.

© Nadine Herzog, 2023

Ces trois icônes de l’alimentation française transcendent leur simple fonction nourricière, signes culturels d’une certaine symbolique de la France. Si la baguette de pain reflète l’histoire sociale et économique du pays, si le fromage, quant à lui, est profondément enraciné dans les traditions agricoles et rurales françaises, le vin rouge, pour sa part, symbolise non seulement le savoir-faire viticole français, mais renvoie aussi à une certaine façon de vivre empreinte de plaisir. Autrement, d’un strict point de vue sémiologique, la baguette de pain peut être interprétée comme un symbole de tradition et de l’art de vivre à la française : sa forme allongée et sa croûte croustillante évoquent l’artisanat et le savoir-faire des boulangers, mais elle représente également la convivialité et le partage, car souvent partagée lors des repas en famille ou entre amis — ainsi, la baguette de pain devient un signe de l’identité culturelle et gastronomique française. Le fromage, quant à lui, incarne la richesse et la diversité culinaire de la France : avec ses différentes textures, saveurs et variétés régionales, le fromage symbolise la tradition artisanale, le terroir et l’attachement à la terre, car chaque fromage français possède une identité propre, liée à une région spécifique, renforçant d’autant son statut d’emblème de l’authenticité culinaire française, souvent associé à des moments de dégustation prolongés, favorisant les échanges et les plaisirs gustatifs. Enfin, le vin rouge, souvent perçu comme le couronnement de l’art de la gastronomie française, représente non seulement l’élégance, la sophistication et l’harmonie des saveurs, mais est aussi souvent considéré comme le compagnon idéal de tout repas, apportant convivialité et célébration à la table.

Si, Balzac, dans ses romans, a accordé une telle attention aux détails et aux aspects réalistes de la vie de ces personnages, y compris leurs repas et leurs habitudes alimentaires, il a montré comment le pain était au centre des repas modestes et quotidiens des classes populaires de l’époque, associé à la subsistance et à la nécessité plutôt qu’au plaisir gastronomique, alors que le fromage, généralement présenté comme un élément de repas plus raffiné, était souvent lié à des moments de convivialité, de rencontres ou de repas plus élaborés réservés aux classes sociales plus aisées. Chez Balzac, le vin est présenté comme marqueur social : les personnages de la haute société, souvent représentés comme des connaisseurs de vin, sont capables de distinguer les différents cépages et appellations, et de discuter de leurs caractéristiques avec expertise. En revanche, les personnages des classes inférieures ou des milieux modestes sont plus susceptibles de consommer des vins plus simples et moins coûteux, souvent présentés comme une source de réconfort et de plaisir pour les classes laborieuses, mais aussi comme une échappatoire à leur réalité quotidienne. Il fera également du vin un reflet des pulsions humaines et des conflits intérieurs de ses personnages qui succombent à son ivresse, conduisant par là à des comportements excessifs, à des ruptures sociales ou à des tragédies.

Un souper à la pension Vauquer

« Assis au bas-bout de la table, près de la porte par laquelle on servait, le père Goriot leva la tête en flairant un morceau de pain qu’il avait sous sa serviette, par une vieille habitude commerciale qui reparaissait quelquefois. »


Eh bien, lui cria aigrement madame Vauquer …, est-ce que vous ne trouvez pas le pain bon ?

— Au contraire, madame, répondit-il, il est fait avec de la farine d’Étampes, première qualité.

— À quoi voyez-vous cela ? lui dit Eugène.


— À la blancheur, au goût.

Bien avant Bourdieu, Balzac avait bien saisi que la nourriture établit et maintient des distinctions sociales. Toutefois, Bourdieu, dans son ouvrage majeur La Distinction : critique sociale du jugement, a fort bien formalisé comment la notion de goût et la manière dont sont effectués certains choix culturels sont déterminés par des facteurs sociaux, économiques et symboliques. Même si Bourdieu n’a jamais explicitement traité du pain, du vin et du fromage, il n’en reste pas moins que les vins fins et les fromages de qualité peuvent être perçus comme un signe de sophistication et de capital culturel élevé, d’où l’idée soutenu par ce dernier que les goûts et les pratiques alimentaires sont souvent influencés par la position sociale et les normes culturelles dominantes.

Finalement, que Balzac ou Bourdieu traitent différemment de l’alimentation, il n’en reste pas moins que la baguette de pain, le fromage et le vin rouge sont devenus des icônes de l’alimentation française en raison de leur longue histoire, de leur tradition et de leur excellence gastronomique. Ils reflètent l’art de vivre à la française et la passion des Français pour la bonne nourriture et les plaisirs culinaires.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Quand le pain industriel s’oppose au pain artisanal

Visuellement parlant, tout, dans une boulangerie industrielle, semble contrevenir au respect de l’environnement, à la qualité et à la saveur du pain, à l’économie locale, à la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, loin d’être pétrie par le lent labeur des mains, l’est plutôt par des moyens mécaniques.

En contraste

Pain industriel

Dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. Depuis les années 1960, les environnementalistes ont particulièrement mis en opposition les aspects industriels et artisanaux de divers domaines. Que ce soit dans l’agriculture, où l’on oppose l’agriculture à grande échelle à l’agriculture biologique, la production maraîchère mondiale à la production locale et de proximité, ou encore dans l’élevage, où l’élevage intensif peu soucieux du bien-être animal est opposé à l’élevage extensif favorisant les vastes espaces et les pâturages naturels. Ce discours de la rusticité s’est développé, mettant en valeur la durabilité environnementale. À ce titre, le pain n’a pas échappé à cette opposition, et les grandes boulangeries industrielles ont de facto été associées à une surproduction et à un gaspillage alimentaire importants. À l’inverse, les artisans boulangers produisent généralement en fonction de la demande locale, permettant d’autant de limiter le gaspillage et de réduire la quantité de déchets alimentaires.

D’un point de vue visuel, une boulangerie industrielle semble en totale contradiction avec le respect de l’environnement, la qualité et la saveur du pain, l’économie locale, et la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, au lieu d’être pétrie laborieusement à la main, est plutôt manipulée de manière mécanique. Mais, il ne faut pas être dupe de l’image iconique renvoyée par la fabrication du pain artisanal dans un milieu lui-même tout aussi artisanal, avec ses couleurs chaudes où la présence du bois plutôt que du métal domine, car cette représentation vise avant tout à promouvoir une image commerçante et commerciale ; l’artisan doit vendre pour vivre. Les éclairages dans la représentation iconique du pain artisanal ne sont qu’un aspect parmi d’autres pour créer une ambiance et une identité visuelle particulière : la disposition des produits, le choix des matériaux, et la décoration jouent également un rôle important. Il s’agit d’instaurer une atmosphère chaleureuse, évoquant des souvenirs d’odeurs de pain frais et de moments partagés autour d’une table.

À l’inverse, rarement voit-on des images d’une boulangerie industrielle, car la représentation iconique industrielle du pain n’est pas très vendeuse. Souvent plus axé sur la production en masse et la distribution à grande échelle, l’objectif principal des grandes entreprises industrielles de la boulangerie est avant tout de maximiser l’efficacité et les bénéfices à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Conséquemment, pourquoi mettre en avant leur image iconique dans leurs stratégies de marketing ?

En revanche, les grandes boulangeries industrielles ne mettront pas en avant le lieu de fabrication du pain dans leur stratégie marketing comme le feraient les petites boulangeries artisanales, car ici, tout est centré sur la production en masse et la distribution à grande échelle, afin de maximiser l’efficacité et les bénéfices, allant à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Par conséquent, pourquoi mettraient-elles en avant cette image iconique « artisanale » dans leurs stratégies de marketing ? La réponse à cette question réside dans la nécessité de répondre aux attentes des consommateurs et de rester compétitives sur le marché. Bien que l’image de l’artisanat soit valorisée, de nombreuses personnes sont également attirées par la commodité et l’accessibilité des produits de boulangerie industrielle. Ainsi, les grandes entreprises cherchent à créer une image attrayante pour séduire ces consommateurs et mettent en avant des éléments tels que la fraîcheur, la praticité, la variété et le prix abordable, afin de convaincre les consommateurs de choisir leurs produits. Imaginons un instant si les grandes boulangeries industrielles diffusaient des images comme celles-ci pour mousser leurs ventes. Auraient-elles le même potentiel marketing de représentation iconique que celle du pain artisanal ?

Imaginons un instant que, pour leur stratégie marketing, les boulangeries industrielles décidaient de montrer l’intérieur de l’usine comme le fait la boulangerie artisanale en modifiant leurs éclairages, passant des lumières blanches et froides à des lumières plus chaudes et moins vives. Pourraient-elles ainsi changer la charge symbolique productiviste qui leur est associée ? Est-ce que l’utilisation d’un éclairage plus doux et chaleureux dans l’environnement d’une boulangerie industrielle pourrait créer une ambiance plus conviviale et accueillante, évoquant l’atmosphère artisanale traditionnelle ? En d’autres termes, est-il possible que des éclairages plus doux contribuent à créer une sensation de proximité et de convivialité, en accord avec l’image traditionnelle du pain ? Rien n’est moins certain, comme le montre l’exercice sémiographique ci-dessous.

En fait, les boulangeries industrielles n’ont pas à montrer le lieu de fabrication du pain, mais plutôt à montrer le produit final, à le mettre en valeur à travers différentes stratégies marketing, à faire croire aux consommateurs qu’elles peuvent aussi fabriquer des pains artisanaux ayant les mêmes qualités et la même saveur que ceux de votre boulangerie du coin. Donc deux régimes iconiques en opposition pour la représentation du pain :

  • le pain artisanal montre un lieu et son produit, finalisé ou en préparation, à travers une mise en scène où les éclairages créent une atmosphère chaleureuse et accueillante, contribuant ainsi à créer une sensation de proximité et de convivialité, correspondant davantage à l’image traditionnelle du pain ;
  • le pain industriel montre un produit finalisé à travers une mise scène mettant en valeur sa fraîcheur, sa praticité, sa variété et son prix abordable.

En début d’article je soulignais que, dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. En fait, l’iconique du pain artisanal et du pain commercial fonctionne parce qu’il y a opposition. Cette différenciation facilite la compréhension et la communication en fournissant des distinctions claires entre les significations et les usages. Même si les deux types de pain ont une même finalité, soit celle de s’alimenter, ils le font sur une représentation iconique différente, fournissant non seulement une structure au message à véhiculer en facilitant son acquisition et son utilisation destinées à des clientèles socioéconomiquement différenciées, mais aussi en permettant de s’adapter aux besoins changeants des consommateurs et de refléter leurs évolutions culturelles et sociales. Tout n’est que stratégie commerçante et commerciale, qu’il s’agisse de pain artisanal ou de pain commercial.

En somme, l’opposition iconique du pain artisanal versus le pain industriel joue essentiellement un rôle dans la construction et la distinction sociales de l’identité du consommateur et de sa diversité alimentaire. Les différentes oppositions ici présentes reflètent en fait les particularités socioéconomiques et socioculturelles de ce dernier. Le pain artisanal est-il meilleur que le pain industriel, que ce soit au niveau de sa saveur ou de sa qualité nutritive ? Une représentation iconique n’a pas à répondre à cette question, elle ne sert qu’à proposer une différenciation sociale.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Le repas santé et ses incontournables repères visuels

Léchée, sobre, attrayante, couleurs chaudes, la symbolique visuel du repas santé a la possibilité d’influencer notre perception et notre appréciation de la nourriture, ainsi que notre motivation à manger de manière équilibrée. À l’inverse, on aura tendance à représenter la nourriture « moins santé » en mettant l’accent sur sa saveur ou son caractère réconfortant plutôt que son aspect visuel et son apparence esthétique.

En contraste

Les aliments avec un ratio de satiété plus élevé sont ceux qui tendent à procurer une sensation de satiété plus durable, malgré une quantité d’énergie relativement faible.

Léchée, sobre, attrayante, couleurs chaudes, la symbolique visuel du repas santé a la possibilité d’influencer notre perception et notre appréciation de la nourriture, ainsi que notre motivation à manger de manière équilibrée. À l’inverse, on aura tendance à représenter la nourriture « moins santé » en mettant l’accent sur sa saveur ou son caractère réconfortant plutôt que son aspect visuel et son apparence esthétique. Non seulement les aliments colorés, tels que les fruits et légumes frais, ajoutent-ils de la vibrance et de l’attrait visuel à un repas santé, mais ils indiquent aussi aussi une diversité de nutriments. On y trouvera des protéines maigres, des légumes, des sources de graisses saines, d’où la présence récurrente d’un flacon d’huile d’olive et d’une coupe de vin rouge. Des herbes fraîches, des épices, des graines ou des garnitures seront également utilisés pour ajouter une touche de décor à un plat, le rendant d’autant plus plus attrayant visuellement.

La dimension iconique d’un repas santé ne se limite pas seulement à son apparence, mais englobe également la façon dont il est représenté dans les médias, la publicité ou les réseaux sociaux. Il y a là toute une industrie du visuel qui incite à la santé, mais qui oublie que ce qu’elle présente n’a rien à voir avec la réalité. Elle crée une image que nous tentons dès lors de reproduire, toutefois inaccessible, et qui persiste dans notre représentation de ce qui devrait être une alimentation santé, c’est-à-dire créer des attentes irréalistes ou un sentiment de découragement chez ceux qui pensent qu’ils ne peuvent pas atteindre ces normes iconiques. Et si cette représentation de plats sophistiqués, d’ingrédients exotiques ou d’arrangements artistiques, donnaient plutôt l’impression que l’alimentation saine est inaccessible ou réservée à une élite ? Non seulement oublie-t-on trop souvent que les connaissances en matière de nutrition et les compétences en matière de préparation des repas varient selon les groupes socio-économiques, mais on oublie aussi parfois que les aliments avec un ratio de satiété plus élevé sont ceux qui tendent à procurer une sensation de satiété plus durable, malgré une quantité d’énergie relativement faible.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

L’icônique télétravail

La dimension iconique du télétravail est souvent représentée dans un espace de la maison aménagé avec grand soin, bien éclairé, où la personne peut travailler sans être dérangée. Comment ne pas être heureux et productif à la fois dans un tel environnement ?

Comme le dépeint l’image de gauche, la dimension iconique du télétravail est souvent représentée dans un espace de la maison aménagé avec grand soin, bien éclairé, où la personne peut travailler sans être dérangée. Comment ne pas être heureux et productif à la fois dans un tel environnement ? En fait, personne n’est dupe de la situation relative à l’iconographie qui nous est vendue. Pour les entreprises, l’environnement de travail n’est pas la seule chose qui détermine la productivité et le bien-être des travailleurs à distance : les compétences personnelles en matière de gestion du temps, la discipline personnelle et les pratiques de bien-être sont aussi supposées jouer un rôle important dans la réussite du télétravail. Il revient donc au télétravailleur, individu autonome par définition, d’être productif et efficace, d »être l’architecte de sa vie et entrepreneur de lui-même.

Cette représentation iconique du télétravail ne représente pas la réalité. En fait, de nombreux travailleurs à distance travaillent depuis des espaces plus modestes, tels que des chambres à coucher, des cuisines ou des sous-sols. On suppose alors que le télétravailleur doive faire preuve de créativité pour aménager leur espace de travail de manière efficace et productif. Et pourtant, la représentation de personnes travaillant depuis des espaces aménagés avec grand soin sont plus susceptibles d’être utilisées dans les médias et la publicité pour promouvoir le télétravail, car elles donnent une impression de professionnalisme, de réussite et de bien-être, tous des incontournables d’une société de plus en liquide rythmée par Internet.

© Texte et infographie : Photo|Société, 2023

Variations sur un hamburger

Quel est l’histoire de ce hamburger délaissé ? Qui l’a abandonné ainsi, sans un regard en arrière ? Est-ce un simple oubli ou un acte délibéré de mépris envers la nature et ses habitants ?

Un sentier sombre et étroit, sinueux à travers la forêt dense et détrempée. La pluie tombe drue, incessante, noyant le monde sous un linceul grisâtre. Et là, au milieu du chemin boueux, git un hamburger détrempé, abandonné tel un objet indigne d’intérêt. Autour de lui, quelques détritus épars jonchent le sol, témoignant de l’indifférence de l’homme pour la nature. La viande, jadis saignante et juteuse, est maintenant molle et flasque, noyée dans une mare d’eau sale. Le pain, quant à lui, jadis doré et croustillant, est maintenant mou et détrempé, semblable à une éponge imbibée d’eau. Symbole de la décadence de la société moderne, où la commodité et l’indifférence règnent en maîtres, il est un rappel poignant que même les choses les plus ordinaires peuvent devenir des objets tragiques, abandonnés et laissés pour pourrir dans l’oubli. Quel est l’histoire de ce hamburger délaissé ? Qui l’a abandonné ainsi, sans un regard en arrière ? Est-ce un simple oubli ou un acte délibéré de mépris ?

© Texte et composition sémiographique : Photo|Société, 2023

À la une

Tourner un documentaire, défis et enjeux de société

La sociologie filmique utilise le langage visuel du cinéma pour raconter des histoires qui reflètent la réalité sociale, tout en produisant une réflexion critique sur ladite réalité, autorisant par le fait même de comprendre et d’analyser les enjeux sociaux à laquelle elle renvoie à travers des images et des sons, afin de susciter une réflexion critique sur ces enjeux.

Selon les sociologues Jean-Pierre Durand et Joyce Sebag, avec la sociologie filmique, « il ne s’agit plus seulement de faire de la sociologie à partir des productions picturales ou sonores d’autrui, mais de conduire des sociologues à réaliser eux-mêmes (voire en coopération avec des professionnels) des documentaires sociologiques. Et cela en allant jusqu’au bout de la logique, à savoir que le film se suffise à lui-même – c’est-à-dire sans commentaire de l’écriture-papier d’accompagnement. Bien sûr, cela ne signifie pas la fin de l’écriture-papier – bien au contraire – puisque celui-ci est le support des débats, des critiques du film projeté et plus encore des difficultés ou des écueils pour fabriquer ces documentaires sociologiques1. » À l’évidence, le numéro « Penser l’accessibilité » ne rencontre pas tout à fait cette exigence, car chaque vidéo de chaque article de ce numéro cherche à appuyer ce que propose l’écrit. En fait, nous n’avons pas conçu un documentaire qui se suffise à lui-même qui allait explorer plus de dix-huit cas différents de personnes en situation de handicap, mais bien des séquences vidéos indépendantes les unes des autres qui rendraient compte de situations bien particulières en fonction de chacun des articles rédigés par autant d’équipes de chercheurs, comme celle d’une activité de loisirs au Lac Simon ou celle d’un éducateur spécialisé qui intervient auprès d’une dame ayant subi un traumatisme craniocérébral.

Est-ce que ces deux vidéos se suffisent à elles-mêmes ? Faut-il obligatoirement qu’elles soient appuyées par un article scientifique ? En fait, elles se suffisent à elles-mêmes, car elles expliquent très bien le problème abordé et les solutions proposées. Par exemple, la seconde vidéo s’intègre dans l’article de la chercheure Valérie Poulin et vient appuyer le propos de l’un des paragraphes de celui-ci. Il y a donc là réciprocité dans l’appui de la vidéo envers l’article et vice-versa. En ce sens, nous rencontrons le critère formulé par Durand et Sebag, à savoir que le documentaire doit se suffire à lui-même.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Vidéos : Pierre Fraser (PhD), 2022
© Images : Photo|Société, 2023

Toutefois, ces vidéos ne sont pas des documentaires au sens strict du terme, car elles sont brèves et ne visent qu’un sujet en particulier, mais elles ont ceci de particulier qu’elles créent une immersion dans le réel, en présentant des images et des sons qui permettent de comprendre et de ressentir la complexité d’une certaine réalité sociale. Peut-on dès lors considérer que cette immersion peut parfois être plus efficace que les écrits académiques ou les données statistiques pour susciter une réflexion critique, puisqu’elle permet une identification plus forte avec les personnes et les situations représentées ? Il y a un peu de cela, mais seule une contextualisation appropriée, comme celle d’un article scientifique, permet de saisir toute la portée du problème abordé.

Si on part de l’idée que « la sociologie filmique souhaite faire de la sociologie avec les techniques et les principes du cinéma pour réaliser des documentaires sociologiques2 » et que ce qu’elle montre doit être « une suite d’interactions qui produisent une pensée, des connaissances3 », il est possible de considérer que le travail que nous avons effectué rencontre ces deux critères. En d’autres termes, la sociologie filmique utilise le langage visuel du cinéma pour raconter des histoires qui reflètent la réalité sociale, tout en produisant une réflexion critique sur ladite réalité, autorisant par le fait même de comprendre et d’analyser les enjeux sociaux à laquelle elle renvoie à travers des images et des sons, afin de susciter une réflexion critique sur ces enjeux.

N’est-ce pas là l’un des rôles de la sociologie de susciter une réflexion critique sur différents enjeux sociaux ? Si le langage cinématographique est un langage universel qui permet de raconter des histoires en utilisant des images, des sons, des musiques, des dialogues et des effets spéciaux, de cette manière, la sociologie filmique est en mesure de parvenir à des résultats similaires pour représenter les phénomènes sociaux, les contextes culturels, les conflits et les contradictions de la vie sociale. De plus, la sociologie filmique utilise également des techniques de montage pour créer des effets de sens, de rythme et d’émotion qui permettent de stimuler la réflexion critique du public ; ce que nous avons fait dans le cadre des deux vidéos présentées plus tôt. Le choix des plans, la durée des séquences, les transitions entre les séquences, la musique, les effets sonores et les effets visuels sont autant d’éléments qui contribuent à susciter une réflexion critique. En cela, le but que nous visions est atteint.

Références
1 Durand, J.-P., Sebag, J. (2015), « La sociologie filmique : écrire la sociologie par le cinéma ? », L’Année sociologique, n° 65, pp. 71-96, DOI :  https://doi.org/10.3917/anso.151.0071.

2 Durand, J.-P., Sebag, J. (2020), La sociologie filmique, Paris : CNRS Éditions, p. 29.

3 Idem., p. 159.

À la une

Jour de pluie et de brume au Parc de l’escarpement de Québec

L’air humide et frais, mêlé aux senteurs de la terre et de la végétation en décomposition, inspire une mélancolie profonde. Les sens sont en éveil, mais dans un frisson d’angoisse. Le corps semble hanté par des présences invisibles, des ombres vaporeuses qui flottent dans l’air. On se laisse aller à la méditation, mais le tourment de l’âme est omniprésent.

Quelle vision sombre et lugubre que cette journée de pluie et de brume. Les gouttes de pluie tombent sans relâche, comme autant de larmes versées par les arbres décharnés et les plantes flétries. La brume, telle une ombre froide et fantomatique, s’insinue lentement dans les recoins les plus obscurs du parc, enveloppant tout d’une aura mystérieuse et inquiétante.

L’air humide et frais, mêlé aux senteurs de la terre et de la végétation en décomposition, inspire une mélancolie profonde. Les sens sont en éveil, mais dans un frisson d’angoisse. Le corps semble hanté par des présences invisibles, des ombres vaporeuses qui flottent dans l’air. On se laisse aller à la méditation, mais le tourment de l’âme est omniprésent.

Une expérience unique et apaisante, dites-vous ? Mais quelle ironie cruelle ! Car c’est plutôt un voyage vers les abysses de l’âme, une descente dans les ténèbres, une plongée dans l’inconnu… où la paix n’est que le calme avant la tempête, où la douceur n’est que l’annonce d’un effroi plus grand encore.

À la une

Y a-t-il plagiat lorsque des images sont générées par l’intelligence artificielle (IA) ?

Lorsque qu’une image est générée par un système d’intelligence artificielle (imagerie générative) en fonction de certains critères basés sur des séquences de mots, ce dernier puise dans un colossal réservoir d’éléments visuels répartis dans des centaines de millions d’images produites par différentes personnes (des représentations graphiques de la grotte de Lascaux, en passant par l’Antiquité, le Moyen-Âge, et la Renaissance, jusqu’aux moyens modernes de production d’images dont, entre autres, la photographie et le cinéma), il n’y a pas plagiat.

Définitions

Le plagiat est le fait de présenter comme étant de sa propre création ou de sa propre recherche un travail, une idée ou une création originale qui a été réalisée par quelqu’un d’autre. Le plagiat peut prendre de nombreuses formes, notamment la copie d’un texte, la reproduction d’une image, la réutilisation de données, la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates, ou encore la traduction d’un travail existant sans permission ou sans mentionner la source.

Une création artistique est une œuvre produite par un artiste qui utilise sa créativité, son imagination et ses compétences techniques pour exprimer des idées, des émotions ou des sentiments à travers une forme d’art. L’artiste peut être inspiré par de nombreuses sources telles que la nature, la société, la culture, les émotions personnelles, les événements historiques, les mythes et les légendes, entre autres. La création artistique peut être un processus long et laborieux, nécessitant souvent de la pratique, de l’expérimentation, de la réflexion et de l’exploration. Une création artistique peut avoir différents objectifs, comme transmettre un message, susciter une émotion, inspirer une réflexion, provoquer un changement, ou tout simplement offrir une expérience esthétique plaisante ou enrichissante. L’appréciation d’une création artistique est subjective et peut varier en fonction des goûts et des expériences de chacun.

Une création artistique, en peinture, implique l’application de couleurs et de matières sur une surface, telle que la toile ou le papier, pour créer une image ou une représentation visuelle. L’artiste peut utiliser diverses techniques pour créer son œuvre, comme la peinture à l’huile, l’aquarelle, l’acrylique, la gouache, ou encore la peinture numérique. La création artistique en peinture peut être figurative ou abstraite, et peut inclure des éléments tels que la composition, la lumière, la texture, la ligne et la couleur pour transmettre des émotions, des idées ou des concepts.

Une création artistique, en photographie, implique la capture d’images visuelles en utilisant un appareil photo. Les photographes peuvent utiliser des techniques telles que la composition, l’éclairage, la mise au point, la vitesse d’obturation et l’ouverture pour créer une image qui transmet une émotion ou une idée. Les photographies peuvent être retouchées ou manipulées numériquement pour créer des effets spéciaux ou des compositions plus complexes. La création artistique en photographie peut inclure des genres tels que la photographie de paysage, la photographie de portrait, la photographie de rue, la photographie abstraite ou la photographie documentaire.

Argumentation

En partant de définitions précédentes, dira-t-on d’un poète, d’un romancier ou d’un chercheur qu’il a plagié en puisant dans l’ensemble de tous les mots que lui autorise sa langue ? La réponse à cette question mérite quelques considérations.

Considération # 1

Une langue est un système de signes. Le signe est composé d’un signifiant (le mot) et d’un signifié (le ou les sens du mot). Le mot, en tant que signifiant, est une entité totalement abstraite : table en français et mesa en espagnol renvoient à un signifié similaire, celui d’un meuble où l’on sert des repas (sens commun) ; autrement dit, le signifiant prend le ou les sens consacrés par l’usage. D’un autre côté, et cela n’est pas anodin, les mots ont été produits par un grand nombre de locuteurs au fil du temps et ont subi de multiples transformations ; ils ne sont pas arrivés ex nihilo.

Une image (peinture, photographie, infographie) est un système de signes. Chaque élément visuel d’une image est un signe composé d’un signifiant (l’éléments visuel) et d’un signifié (le ou les sens de l’élément visuel). L’élément visuel, en tant que signifiant, est une entité totalement abstraite : la couleur blanche possède différente signification en fonction de la culture. Par exemple, la patte d’une table constitue un élément visuel, tout le carrelage d’une fenêtre constitue un élément visuel, etc. ; tout signifiant visuel (i.e. une table, une fenêtre) peut ainsi être décomposé en ses éléments visuels de base.

Considération # 2

Tous les locuteurs d’une langue ont accès au même réservoir de mots (système de signes), et partant de là, ils peuvent générer à l’infini des phrases dans lesquelles sont ordonnés les mots en fonction de ce que permet la syntaxe d’une langue. C’est la concaténation de mots dans une phrase qui permet de véhiculer une idée, un concept, un sentiment, une impression, etc. Sans cette concaténation de mots, il est impossible de formuler un quelconque sens.

Tous les producteurs d’images ont accès au même réservoir d’éléments visuels (système de signes), et partant de là, ils peuvent générer à l’infini des images dans lesquelles sont ordonnés les éléments visuels en fonction de ce que permet à la fois leur culture et leur créativité. C’est la concaténation de certains éléments visuels dans une image qui permet de véhiculer une idée, un concept, un sentiment, une impression, etc. Par exemple, ce qui fait que la Joconde de Léonard de Vinci est la Joconde, c’est un ordonnancement particulier d’éléments visuels que permet la peinture.

Considération # 3

Ce qui différencie l’originalité d’une séquence de mots que l’on peut attribuer à un auteur, c’est lorsque que cette séquence de mots est inscrite sur un quelconque support (physique ou virtuel). Par exemple, dans le monde de la recherche, il est impératif d’indiquer la provenance de certaines séquence de mots afin d’attribuer à la bonne personne l’originalité de l’exercice, car cette séquence de mots véhicule une idée ou un concept scientifique bien précis. Autrement dit, aucun des mots, pris individuellement, n’est en mesure de véhiculer le concept proposé par un chercheur, mais du moment qu’ils sont intégrés dans une phrase, un paragraphe ou un chapitre, ils véhiculent une idée ou un concept.

Ce qui différencie l’originalité d’une séquence d’éléments visuels que l’on peut attribuer à un producteur d’images, c’est lorsque que cette séquence d’éléments visuels est inscrite sur un quelconque support (physique ou virtuel). Par exemple, personne ne confondra un Van Gogh avec un Rembrandt, ou une photographie de Henri Cartier-Bresson avec celle d’un photographe amateur. Autrement dit, aucun des éléments visuels, pris individuellement, n’est en mesure de véhiculer le concept proposé par un producteur d’images, mais du moment qu’ils sont intégrés dans une quelque composition graphique, ils véhiculent une idée, un concept ou une impression.

Considération # 4

Il y a plagiat du moment qu’un auteur véhicule la même idée qu’un autre auteur à travers la même séquence de mots ou séquence de mots similaires ou réordonnancées sur un quelconque support (physique ou virtuel). Conséquemment, il n’y a pas plagiat si une séquence de mots similaires à un autre auteur ne véhicule pas la même idée. En fait, si la même séquence de mots se retrouve dans un paragraphe avec d’autres séquences de mots différenciées afin de véhiculer une idée différente, il n’y a pas plagiat.

Il y a plagiat du moment qu’un producteur d’images véhicule la même idée qu’un autre producteur d’images à travers la même séquence d’éléments visuels ou séquence d’éléments visuels similaires ou réordonnancés sur un quelconque support (physique ou virtuel). Conséquemment, il n’y a pas plagiat si une séquence d’éléments visuels liée à un autre producteur d’images ne véhicule pas la même idée. En fait, si la même séquence d’éléments visuels se retrouve dans une composition graphique avec d’autres séquences d’éléments visuels différenciées afin de véhiculer une idée différente, il n’y a pas plagiat.

Le courant impressionniste est éloquent à ce sujet où il s’agissait de capturer l’impression visuelle que produisait un paysage, une scène de vie quotidienne, ou une personne, plutôt que de chercher à représenter les détails avec précision, tout en utilisant des couleurs vives appliqués à touches rapides pour capturer l’effet de la lumière naturelle sur un sujet, créant ainsi une impression de mouvement et de spontanéité. Ainsi, du précurseur que fut Édouard Manet, reconnu pour ses peintures révolutionnaires de la vie moderne, comme Le Déjeuner sur l’herbe et Olympia, c’est toute une série de peintres impressionnistes, dont Claude Monet, Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, Mary Cassatt, Camille Pissarro, Berthe Morisot, qui se sont tous inspirés de la même technique visuelle pour produire leurs œuvres. Plusieurs éléments visuels (rond jaune, point blanc, ligne bleue, etc.) d’un Monet peuvent se retrouver dans la peinture d’un Renoir, et personne n’aurait pour autant l’idée même de penser que parce que Renoir reprend des éléments visuels de Monet qu’il y a pour autant là plagiat.

Considération # 5

Le plagiat renvoie essentiellement à la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates et non à une séquence de mots précise, car la loi des grands nombres fait en sorte qu’un séquence de mots bien précise est susceptible de survenir de temps à autre.

Le plagiat renvoie essentiellement à la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates et non à une séquence d’éléments visuels précise, car la loi des grands nombres fait en sorte qu’un séquence d’éléments visuels bien précise est susceptible de survenir de temps à autre.

Contre-Argumentation

À venir… En attente des arguments de mes collègues.

Proposition concernant l’Imagerie générative

Supposons que le jour où Henri Cartier-Bresson prenait ses photos de certaines personnes dans la foule venues assister au couronnement de la reine Élisabeth II, qu’il y ait eu un autre photographe qui s’adonnait au même exercice et que ce dernier cadrait plus ou moins les mêmes sujets, y aurait-il eu là plagiat ? Autrement dit, en considérant qu’une photographie x saisisse certains éléments visuels préexistant à la photo qui sera prise et les fige sur la pellicule, et en considérant qu’une photographie y cadre presque la même chose et fige le tout sur une pellicule, peut-on affirmer que la photo y est un plagiat de la photo x si les éléments visuels de chacune de celles-ci préexistaient avant la prise même de la photo ? Est-ce que saisir sur pellicule un bâtiment donné aux éléments visuels préexistants est un plagiat de ce qui existe dans le monde objectif ? Non. Alors, qu’est-ce qui fait qu’une photo est originale et qu’elle peut prétendre à l’originalité ? Par l’ordonnancement propre à cette photo de tous les éléments visuels qui la compose, Dès lors, reproduire cette photo est de l’ordre du plagiat. Cependant, chaque éléments visuel de cette photo pris séparément et reproduit ailleurs ne peut être considéré comme du plagiat.

Lorsque qu’une image est générée par un système d’intelligence artificielle (imagerie générative) en fonction de certains critères basés sur des séquences de mots, ce dernier puise dans un immense réservoir d’éléments visuels répartis dans des centaines de millions d’images produites par différentes personnes (des représentations graphiques de la grotte de Lascaux, en passant par l’Antiquité, le Moyen-Âge, et la Renaissance, jusqu’aux moyens modernes de production d’images dont, entre autres, la photographie et le cinéma), il n’y a pas plagiat.

Pourquoi ? Parce que la recomposition graphique qu’effectue un générateur artificiel d’images le fait à partir d’un réservoir d’éléments visuels non ordonnancés qui sont réordonnancées aléatoirement dans une séquence bien précise, sans compter que la même séquence de mots, une fois relancée, ne donnera pas la même composition graphique, et ne renverra à rien dans la réalité (le monde objectif). Par exemple, de toutes les images présentes sur cette page, aucune ne renvoie à une réalité tangible : elles sont entièrement le produit d’une concaténation d’éléments visuels ordonnancés d’une certaine façon. Pour mieux comprendre la chose, les éléments visuels des fenêtres (vitre, diviseurs, cadre, lumière intérieure) de la dernière image ont entièrement été recomposés à partir d’autant d’éléments visuels récupérés depuis le réservoir d’images, qui elles-mêmes comportent parfois des centaines d’éléments visuels. L’atmosphère que nous avons voulu donner à cette image est elle-même générée à partir d’éléments visuels toujours issus du même réservoir d’images, et il en va de même pour les éclairages extérieurs (angle, intensité, ombres projetées ou non).

On parlera alors de composition sémiographique, c’est-à-dire la représentation graphique de signes et de symboles dans une mise en forme visuelle. Si, dans une perspective sémiotique, les signes peuvent être considérés comme des entités abstraites qui sont représentées par des formes concrètes, telles que des images ou des repères visuels, la conception sémiographique peut ainsi être vue comme la manière dont ces signes abstraits sont traduits visuellement, en utilisant des formes, des couleurs, des textures et des styles graphiques pour les représenter en utilisant des systèmes d’imagerie générative.

Si on part du principe que le plagiat peut prendre de nombreuses formes, notamment la copie d’un texte, la reproduction d’une image, la réutilisation de données, la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates, ou encore la traduction d’un travail existant sans permission ou sans mentionner la source, on ne peut alors affirmer avec certitude qu’une image générée par un algorithme d’intelligence artificielle génératif relève du plagiat, car aucun des éléments visuels de celle-ci ne renvoie à rien dans la réalité (i.e. une table pourra être générée à partir de différents éléments visuels puisés dans différentes images). En ce sens, il y a plagiat lorsque l’image est reproduite à l’identique ou similaire à l’originale dans l’ordonnancement des éléments visuels qui la compose et qui la rend ainsi « reconnaissable » (un air de déjà vu) à l’originale.

En bout de ligne, ce sont les législateurs de différents pays qui décideront si oui ou non une image générée par une intelligence artificielle est ou non du plagiat. Certes, les artistes verront dans l’imagerie générative une atteinte à leur créativité si ceux qui les emploient ou achètent leurs œuvres se tournent vers l’imagerie générative. Les artistes, peintres et photographes peuvent ainsi craindre que leurs œuvres soient remplacées par des œuvres générées par des machines, ce qui pourrait compromettre leur capacité à gagner leur vie en tant qu’artistes. Toutefois, le génie est sorti de la bouteille et il sera impossible de l’y faire entrer à nouveau.

En somme, ceux qui tireront leur épingle du jeu sont peut-être justement ceux qui sauront judicieusement tirer parti de cette nouvelle donne. Ce postulat reste non seulement à vérifier, mais reste surtout à être argumenté…

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

À la une

La boulangère ou l’authenticité dans une société de consommation

La recherche de produits rustiques et authentiques peut également être liée à une quête de sens et de connexion avec nos racines et notre patrimoine. Les produits artisanaux, tels que le pain au levain ou la charcuterie artisanale, sont souvent associés à une tradition et à un savoir-faire ancien, qui ont été transmis de génération en génération.

Le linguiste Émile Benvéniste disait que, « au fondement de tout se trouve la symbolique […] comme pouvoir de signification », et que « au fond, tout le mécanisme de la culture est un mécanisme de caractère symbolique, nous donnons un sens à certains gestes [ou certains repères visuels], nous ne donnons aucun sens à d’autres à l’intérieur de notre culture1. » La boulangère ici représentée est constitutive de ce que je nommerai la rusticité et l’authenticité dans une société de consommation. En fait, la mondialisation et la standardisation des produits ont entraîné une uniformisation des goûts et des habitudes de consommation. Les consommateurs ont ainsi tendance à rechercher des produits qui offrent une expérience différente et authentique, qui se démarquent des produits standardisés et impersonnels.

Les produits rustiques, tels que le pain artisanal, le fromage fermier ou les légumes bio cultivés localement, sont perçus comme étant plus authentiques et offrant une expérience gustative unique ; ils ont un pouvoir de signification, car ils ont un pouvoir de symbolisation. La recherche de produits rustiques et authentiques peut également être liée à une quête de sens et de connexion avec nos racines et notre patrimoine (la symbolisation). En consommant ces produits, les consommateurs peuvent ainsi renouer avec leurs racines symboliques et leur patrimoine culturel. Comme le soulignait Claude Lévi-Strauss, nous élaborons des mythes pour donner du sens au monde qui nous entoure.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Références
1 Benvéniste, E. (1974), Problèmes de linguistique générale II, Paris : Éditions Gallimard, p. 25.

Qu’est-ce qu’une composition sémiographique ?

Une conception sémiographique se définit comme étant la représentation graphique des signes et des symboles, c’est-à-dire leur mise en forme visuelle. Si, dans une perspective sémiotique, les signes peuvent être considérés comme des entités abstraites qui sont représentées par des formes concrètes, telles que des images ou des repères visuels, la conception sémiographique peut ainsi être vue comme la manière dont ces signes abstraits sont traduits visuellement, en utilisant des formes, des couleurs, des textures et des styles graphiques pour les représenter en utilisant des systèmes d’imagerie générative.

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