Un pain baguette, un camembert, une coupe de vin rouge

Ces trois icônes de l’alimentation française transcendent leur simple fonction nourricière pour devenir des signes culturels et symboliques d’une certaine histoire de la France. Si la baguette de pain reflète l’histoire sociale et économique du pays, si le fromage, quant à lui, est profondément enraciné dans les traditions agricoles et rurales françaises, le vin rouge, pour sa part, symbolise non seulement le savoir-faire viticole français, mais renvoie aussi à une certaine façon de vivre empreinte de plaisir.

Trinité sacrée

Ô délices de la table, trinité sacrée,
Symboles enchantés de la France éternelle,
La baguette de pain, le fromage et le vin rouge,
Vos noms résonnent comme un chant dans les cieux.

Qu’il est doux, le parfum de la baguette fraîche,
La promesse dorée d’une mie tendre et chaude,
Sa croûte croustillante, fine et bien dorée,
Dévoile en son secret les merveilles de la pâte.

Des champs de blé doré jusqu’à nos tables fières,
La baguette est le lien de notre patrimoine,
Témoin des siècles passés, de l’artisanat pur,
Elle incarne l’essence même de notre âme.

Et toi, noble fromage, d’une variété infinie,
Dans ta diversité, tu charmes tous les palais,
Du Camembert fondant au goût suave et crémeux,
Au Roquefort puissant, bleu comme les cieux.

Au-delà de tes formes, c’est ton histoire qui parle,
Chaque région est fière de son précieux trésor,
De la Normandie aux Alpes, des plaines aux vallées,
Tu es l’âme de nos terroirs, le reflet de nos vies.

Le vin rouge, roi des nectars et des plaisirs,
De tes vignes se dessine l’essence de nos terres,
Dans les verres cristallins, ton élixir s’écoule,
Rouge comme le sang qui anime nos cœurs ardents.

Bordeaux, Bourgogne, Champagne et tant d’autres,
Chacune offre au monde sa palette de saveurs,
Fruits mûris par le soleil, caressés par le vent,
Tu enchantes les papilles, tu nourris nos rêves.

Baguette, fromage, vin rouge, trinité sacrée,
Icônes immortelles de notre gastronomie,
Symboles d’une nation fière et passionnée,
Vous demeurez gravés dans notre mémoire infinie.

© Nadine Herzog, 2023

Ces trois icônes de l’alimentation française transcendent leur simple fonction nourricière, signes culturels d’une certaine symbolique de la France. Si la baguette de pain reflète l’histoire sociale et économique du pays, si le fromage, quant à lui, est profondément enraciné dans les traditions agricoles et rurales françaises, le vin rouge, pour sa part, symbolise non seulement le savoir-faire viticole français, mais renvoie aussi à une certaine façon de vivre empreinte de plaisir. Autrement, d’un strict point de vue sémiologique, la baguette de pain peut être interprétée comme un symbole de tradition et de l’art de vivre à la française : sa forme allongée et sa croûte croustillante évoquent l’artisanat et le savoir-faire des boulangers, mais elle représente également la convivialité et le partage, car souvent partagée lors des repas en famille ou entre amis — ainsi, la baguette de pain devient un signe de l’identité culturelle et gastronomique française. Le fromage, quant à lui, incarne la richesse et la diversité culinaire de la France : avec ses différentes textures, saveurs et variétés régionales, le fromage symbolise la tradition artisanale, le terroir et l’attachement à la terre, car chaque fromage français possède une identité propre, liée à une région spécifique, renforçant d’autant son statut d’emblème de l’authenticité culinaire française, souvent associé à des moments de dégustation prolongés, favorisant les échanges et les plaisirs gustatifs. Enfin, le vin rouge, souvent perçu comme le couronnement de l’art de la gastronomie française, représente non seulement l’élégance, la sophistication et l’harmonie des saveurs, mais est aussi souvent considéré comme le compagnon idéal de tout repas, apportant convivialité et célébration à la table.

Si, Balzac, dans ses romans, a accordé une telle attention aux détails et aux aspects réalistes de la vie de ces personnages, y compris leurs repas et leurs habitudes alimentaires, il a montré comment le pain était au centre des repas modestes et quotidiens des classes populaires de l’époque, associé à la subsistance et à la nécessité plutôt qu’au plaisir gastronomique, alors que le fromage, généralement présenté comme un élément de repas plus raffiné, était souvent lié à des moments de convivialité, de rencontres ou de repas plus élaborés réservés aux classes sociales plus aisées. Chez Balzac, le vin est présenté comme marqueur social : les personnages de la haute société, souvent représentés comme des connaisseurs de vin, sont capables de distinguer les différents cépages et appellations, et de discuter de leurs caractéristiques avec expertise. En revanche, les personnages des classes inférieures ou des milieux modestes sont plus susceptibles de consommer des vins plus simples et moins coûteux, souvent présentés comme une source de réconfort et de plaisir pour les classes laborieuses, mais aussi comme une échappatoire à leur réalité quotidienne. Il fera également du vin un reflet des pulsions humaines et des conflits intérieurs de ses personnages qui succombent à son ivresse, conduisant par là à des comportements excessifs, à des ruptures sociales ou à des tragédies.

Un souper à la pension Vauquer

« Assis au bas-bout de la table, près de la porte par laquelle on servait, le père Goriot leva la tête en flairant un morceau de pain qu’il avait sous sa serviette, par une vieille habitude commerciale qui reparaissait quelquefois. »


Eh bien, lui cria aigrement madame Vauquer …, est-ce que vous ne trouvez pas le pain bon ?

— Au contraire, madame, répondit-il, il est fait avec de la farine d’Étampes, première qualité.

— À quoi voyez-vous cela ? lui dit Eugène.


— À la blancheur, au goût.

Bien avant Bourdieu, Balzac avait bien saisi que la nourriture établit et maintient des distinctions sociales. Toutefois, Bourdieu, dans son ouvrage majeur La Distinction : critique sociale du jugement, a fort bien formalisé comment la notion de goût et la manière dont sont effectués certains choix culturels sont déterminés par des facteurs sociaux, économiques et symboliques. Même si Bourdieu n’a jamais explicitement traité du pain, du vin et du fromage, il n’en reste pas moins que les vins fins et les fromages de qualité peuvent être perçus comme un signe de sophistication et de capital culturel élevé, d’où l’idée soutenu par ce dernier que les goûts et les pratiques alimentaires sont souvent influencés par la position sociale et les normes culturelles dominantes.

Finalement, que Balzac ou Bourdieu traitent différemment de l’alimentation, il n’en reste pas moins que la baguette de pain, le fromage et le vin rouge sont devenus des icônes de l’alimentation française en raison de leur longue histoire, de leur tradition et de leur excellence gastronomique. Ils reflètent l’art de vivre à la française et la passion des Français pour la bonne nourriture et les plaisirs culinaires.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Quand le pain industriel s’oppose au pain artisanal

Visuellement parlant, tout, dans une boulangerie industrielle, semble contrevenir au respect de l’environnement, à la qualité et à la saveur du pain, à l’économie locale, à la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, loin d’être pétrie par le lent labeur des mains, l’est plutôt par des moyens mécaniques.

En contraste

Pain industriel

Dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. Depuis les années 1960, les environnementalistes ont particulièrement mis en opposition les aspects industriels et artisanaux de divers domaines. Que ce soit dans l’agriculture, où l’on oppose l’agriculture à grande échelle à l’agriculture biologique, la production maraîchère mondiale à la production locale et de proximité, ou encore dans l’élevage, où l’élevage intensif peu soucieux du bien-être animal est opposé à l’élevage extensif favorisant les vastes espaces et les pâturages naturels. Ce discours de la rusticité s’est développé, mettant en valeur la durabilité environnementale. À ce titre, le pain n’a pas échappé à cette opposition, et les grandes boulangeries industrielles ont de facto été associées à une surproduction et à un gaspillage alimentaire importants. À l’inverse, les artisans boulangers produisent généralement en fonction de la demande locale, permettant d’autant de limiter le gaspillage et de réduire la quantité de déchets alimentaires.

D’un point de vue visuel, une boulangerie industrielle semble en totale contradiction avec le respect de l’environnement, la qualité et la saveur du pain, l’économie locale, et la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, au lieu d’être pétrie laborieusement à la main, est plutôt manipulée de manière mécanique. Mais, il ne faut pas être dupe de l’image iconique renvoyée par la fabrication du pain artisanal dans un milieu lui-même tout aussi artisanal, avec ses couleurs chaudes où la présence du bois plutôt que du métal domine, car cette représentation vise avant tout à promouvoir une image commerçante et commerciale ; l’artisan doit vendre pour vivre. Les éclairages dans la représentation iconique du pain artisanal ne sont qu’un aspect parmi d’autres pour créer une ambiance et une identité visuelle particulière : la disposition des produits, le choix des matériaux, et la décoration jouent également un rôle important. Il s’agit d’instaurer une atmosphère chaleureuse, évoquant des souvenirs d’odeurs de pain frais et de moments partagés autour d’une table.

À l’inverse, rarement voit-on des images d’une boulangerie industrielle, car la représentation iconique industrielle du pain n’est pas très vendeuse. Souvent plus axé sur la production en masse et la distribution à grande échelle, l’objectif principal des grandes entreprises industrielles de la boulangerie est avant tout de maximiser l’efficacité et les bénéfices à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Conséquemment, pourquoi mettre en avant leur image iconique dans leurs stratégies de marketing ?

En revanche, les grandes boulangeries industrielles ne mettront pas en avant le lieu de fabrication du pain dans leur stratégie marketing comme le feraient les petites boulangeries artisanales, car ici, tout est centré sur la production en masse et la distribution à grande échelle, afin de maximiser l’efficacité et les bénéfices, allant à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Par conséquent, pourquoi mettraient-elles en avant cette image iconique « artisanale » dans leurs stratégies de marketing ? La réponse à cette question réside dans la nécessité de répondre aux attentes des consommateurs et de rester compétitives sur le marché. Bien que l’image de l’artisanat soit valorisée, de nombreuses personnes sont également attirées par la commodité et l’accessibilité des produits de boulangerie industrielle. Ainsi, les grandes entreprises cherchent à créer une image attrayante pour séduire ces consommateurs et mettent en avant des éléments tels que la fraîcheur, la praticité, la variété et le prix abordable, afin de convaincre les consommateurs de choisir leurs produits. Imaginons un instant si les grandes boulangeries industrielles diffusaient des images comme celles-ci pour mousser leurs ventes. Auraient-elles le même potentiel marketing de représentation iconique que celle du pain artisanal ?

Imaginons un instant que, pour leur stratégie marketing, les boulangeries industrielles décidaient de montrer l’intérieur de l’usine comme le fait la boulangerie artisanale en modifiant leurs éclairages, passant des lumières blanches et froides à des lumières plus chaudes et moins vives. Pourraient-elles ainsi changer la charge symbolique productiviste qui leur est associée ? Est-ce que l’utilisation d’un éclairage plus doux et chaleureux dans l’environnement d’une boulangerie industrielle pourrait créer une ambiance plus conviviale et accueillante, évoquant l’atmosphère artisanale traditionnelle ? En d’autres termes, est-il possible que des éclairages plus doux contribuent à créer une sensation de proximité et de convivialité, en accord avec l’image traditionnelle du pain ? Rien n’est moins certain, comme le montre l’exercice sémiographique ci-dessous.

En fait, les boulangeries industrielles n’ont pas à montrer le lieu de fabrication du pain, mais plutôt à montrer le produit final, à le mettre en valeur à travers différentes stratégies marketing, à faire croire aux consommateurs qu’elles peuvent aussi fabriquer des pains artisanaux ayant les mêmes qualités et la même saveur que ceux de votre boulangerie du coin. Donc deux régimes iconiques en opposition pour la représentation du pain :

  • le pain artisanal montre un lieu et son produit, finalisé ou en préparation, à travers une mise en scène où les éclairages créent une atmosphère chaleureuse et accueillante, contribuant ainsi à créer une sensation de proximité et de convivialité, correspondant davantage à l’image traditionnelle du pain ;
  • le pain industriel montre un produit finalisé à travers une mise scène mettant en valeur sa fraîcheur, sa praticité, sa variété et son prix abordable.

En début d’article je soulignais que, dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. En fait, l’iconique du pain artisanal et du pain commercial fonctionne parce qu’il y a opposition. Cette différenciation facilite la compréhension et la communication en fournissant des distinctions claires entre les significations et les usages. Même si les deux types de pain ont une même finalité, soit celle de s’alimenter, ils le font sur une représentation iconique différente, fournissant non seulement une structure au message à véhiculer en facilitant son acquisition et son utilisation destinées à des clientèles socioéconomiquement différenciées, mais aussi en permettant de s’adapter aux besoins changeants des consommateurs et de refléter leurs évolutions culturelles et sociales. Tout n’est que stratégie commerçante et commerciale, qu’il s’agisse de pain artisanal ou de pain commercial.

En somme, l’opposition iconique du pain artisanal versus le pain industriel joue essentiellement un rôle dans la construction et la distinction sociales de l’identité du consommateur et de sa diversité alimentaire. Les différentes oppositions ici présentes reflètent en fait les particularités socioéconomiques et socioculturelles de ce dernier. Le pain artisanal est-il meilleur que le pain industriel, que ce soit au niveau de sa saveur ou de sa qualité nutritive ? Une représentation iconique n’a pas à répondre à cette question, elle ne sert qu’à proposer une différenciation sociale.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Le repas santé et ses incontournables repères visuels

Léchée, sobre, attrayante, couleurs chaudes, la symbolique visuel du repas santé a la possibilité d’influencer notre perception et notre appréciation de la nourriture, ainsi que notre motivation à manger de manière équilibrée. À l’inverse, on aura tendance à représenter la nourriture « moins santé » en mettant l’accent sur sa saveur ou son caractère réconfortant plutôt que son aspect visuel et son apparence esthétique.

En contraste

Les aliments avec un ratio de satiété plus élevé sont ceux qui tendent à procurer une sensation de satiété plus durable, malgré une quantité d’énergie relativement faible.

Léchée, sobre, attrayante, couleurs chaudes, la symbolique visuel du repas santé a la possibilité d’influencer notre perception et notre appréciation de la nourriture, ainsi que notre motivation à manger de manière équilibrée. À l’inverse, on aura tendance à représenter la nourriture « moins santé » en mettant l’accent sur sa saveur ou son caractère réconfortant plutôt que son aspect visuel et son apparence esthétique. Non seulement les aliments colorés, tels que les fruits et légumes frais, ajoutent-ils de la vibrance et de l’attrait visuel à un repas santé, mais ils indiquent aussi aussi une diversité de nutriments. On y trouvera des protéines maigres, des légumes, des sources de graisses saines, d’où la présence récurrente d’un flacon d’huile d’olive et d’une coupe de vin rouge. Des herbes fraîches, des épices, des graines ou des garnitures seront également utilisés pour ajouter une touche de décor à un plat, le rendant d’autant plus plus attrayant visuellement.

La dimension iconique d’un repas santé ne se limite pas seulement à son apparence, mais englobe également la façon dont il est représenté dans les médias, la publicité ou les réseaux sociaux. Il y a là toute une industrie du visuel qui incite à la santé, mais qui oublie que ce qu’elle présente n’a rien à voir avec la réalité. Elle crée une image que nous tentons dès lors de reproduire, toutefois inaccessible, et qui persiste dans notre représentation de ce qui devrait être une alimentation santé, c’est-à-dire créer des attentes irréalistes ou un sentiment de découragement chez ceux qui pensent qu’ils ne peuvent pas atteindre ces normes iconiques. Et si cette représentation de plats sophistiqués, d’ingrédients exotiques ou d’arrangements artistiques, donnaient plutôt l’impression que l’alimentation saine est inaccessible ou réservée à une élite ? Non seulement oublie-t-on trop souvent que les connaissances en matière de nutrition et les compétences en matière de préparation des repas varient selon les groupes socio-économiques, mais on oublie aussi parfois que les aliments avec un ratio de satiété plus élevé sont ceux qui tendent à procurer une sensation de satiété plus durable, malgré une quantité d’énergie relativement faible.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Vendre, convaincre, déguster

La séquence de dégustation présentée ici révèle à la fois le rôle social du vendeur et du consommateur. Elle installe définitivement le vendeur et la consommatrice dans leurs rôles sociaux respectifs.

Au Marché Public du Vieux-Port de Québec (démoli en 2019), deux types de clients fréquentaient les lieux, pour la simple raison qu’il y avait deux types de commerces qui y faisaient affaire. D’une part, il y avait les commerçants qui offraient des produits déjà préparés et prêts à la consommation qui pouvaient être offerts en cadeau ou pour une consommation personnelle. D’autre part, il y avait ceux, et ils sont peu nombreux, qui vendaient une gamme variée de fruits, légumes, céréales, épices, fines herbes, condiments, huiles, vinaigre, et farines pour cuisiner. Dans un tel contexte, autant le commerçant que le client ont un rôle social à jouer et il est convenu et accepté que le client sera éventuellement sollicité à déguster tel ou tel produit au Marché Public du Vieux-Port de Québec, surtout dans la période qui allait du début novembre au 24 décembre. On attend aussi du client qu’il soit poli et réserve pour lui ses commentaires désagréables : s’il goûte un produit et que ça ne lui plaît pas, il doit minimiser cette réaction afin qu’elle soit le moins visible possible. Quant au commerçant, si le client qu’il a devant lui ne lui revient pas, il ne doit manifester en aucune circonstance le fait qu’il préférerait le voir ailleurs, peut-être même chez un concurrent. Autrement dit, toute la relation commerciale dans un tel lieu est essentiellement une affaire de faux fuyants et de non-dits. Malgré tout, les commerçants conservent le sourire devant le client, et le client réserve son sourire quand le produit le satisfait ou qu’il a procédé à un achat.

Pour illustrer mon propos, la séquence de dégustation présentée ci-dessous révèle à la fois le rôle social du vendeur et du consommateur. Cette séquence de dégustation installe définitivement le vendeur et la consommatrice dans leurs rôles sociaux respectifs. En fait, une transaction pré-commerciale de cette nature est socialement codée et normalisée. Observez attentivement, dans un premier temps, le visage du vendeur dans chacune des séquences : il est avenant, dégage une certaine confiance et une certaine insistance qui se lit dans son sourire. Faites le même exercice avec la jeune femme, mais cette fois-ci, observez plutôt la posture corporelle globale de celle-ci.

Séquence 1

La posture corporelle de la jeune femme est dans la réserve, semble dégager une certaine hésitation à goûter ou non le produit alors que la main gauche est refermée et près du cou.

Séquence 2

Toute la posture corporelle de la jeune femme signale l’absorption dans le propos du vendeur — mains croisées appuyées sur le ventre et tête légèrement avancée.

Séquence 3

La jeune femme montre une posture corporelle encore hésitante et dans une certaine retenue : le haut du corps est légèrement projeté vers l’arrière, alors qu’il n’y a que sa main qui approche celle du vendeur.

Séquence 4

Le corps de la jeune femme revient dans sa position initiale et la tête est légèrement projetée vers l’avant pour accueillir la cuillère.

Au marché public

Parcours visuels

Dans un marché public, les affiches et les agencements de produits que les commerçants mettent en place tracent des parcours incitant à la consommation. (© Photo : Pierre Fraser, 2015) Dans un supermarché, les parcours visuels ont fait l’objet d’une analyse toute particulière afin de maximiser les ventes, dont, à l’entrée, fruits, légumes, poissonnerie, boulangerie,…

Dégustation au marché public

La séquence de dégustation présentée ici révèle à la fois le rôle social du vendeur et du consommateur. Elle installe définitivement le vendeur et la consommatrice dans leurs rôles sociaux respectifs. Au Marché Public du Vieux-Port de Québec (démoli en 2019), deux types de clients fréquentaient les lieux, pour la simple raison qu’il y avait…

L’huile d’olive comme produit de distinction sociale ?

L’huile d’olive, par seule mise en marché à travers son marketing, signale l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions. Si le statut social peut influencer l’alimentation de différentes façons, le niveau de revenu et l’accès aux ressources financières peuvent également affecter les choix alimentaires des individus.

Photo : Ron Lach

L’huile d’olive a longtemps été considérée comme un aliment de qualité supérieure et a été associée la plupart du temps à la distinction sociale et à la richesse. En Grèce antique, par exemple, l’huile d’olive était considérée comme un symbole de prospérité et était utilisée pour l’alimentation, l’éclairage et l’hygiène personnelle. Au fil des siècles, l’huile d’olive a continué d’être associée à la distinction sociale et à la richesse dans de nombreux pays. En Italie, par exemple, l’huile d’olive est encore et toujours considérée comme un élément essentiel de la cuisine italienne et souvent utilisée pour marquer l’occasion de festivités ou de réunions familiales importantes.

De nos jours, l’huile d’olive est également associée à une alimentation saine et à des bienfaits pour la santé. Cette association peut contribuer à renforcer l’association de l’huile d’olive avec la distinction sociale et la richesse, car les individus qui peuvent se permettre de manger sainement sont souvent perçus comme ayant un niveau de vie plus élevé. D’ailleurs, les entreprises qui produisent, distribuent et vendent de l’huile d’olive, jouent d’ingéniosité en matière de marketing sur le plan des repères visuels afin de rejoindre une clientèle prête à dépenser des sommes conséquentes pour bien s’alimenter. En ce sens, on retrouvera là les 4 fonctions d’un repère visuel sans le marketing de l’huile d’olive :

  • signaler en vue de l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions ;
  • localiser d’autres repères qui doivent déclencher une action (le repère est élément de réseau) ;
  • confirmer qu’un individu adopte les comportements appropriés ;
  • combler certaines attentes.

On peut donc dire que l’huile d’olive, par seule mise en marché à travers son marketing, signale l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions. Si le statut social peut influencer l’alimentation de différentes façons, le niveau de revenu et l’accès aux ressources financières peuvent également affecter les choix alimentaires des individus. Étant donné que les personnes ayant un niveau de revenu plus élevé ont souvent accès à une plus grande variété d’aliments de qualité supérieure, elles peuvent être plus enclines à acheter des aliments sains et biologiques, d’où les repères visuels de l’huile d’olive ciblant le haut de gamme. Les personnes ayant un niveau de revenu plus faible, pour leur part, peuvent être contraints de faire des choix alimentaires moins coûteux et moins sains, d’où l’achat éventuel d’huiles d’olive de peu de qualité dans les grandes surfaces afin de s’inscrire dans la mouvance de la saine alimentation.

Photo : Tatiana Novoselova

Statut social de l’huile d’olive

Le statut social peut également influencer les attitudes et les comportements en matière d’alimentation, notamment en ce qui concerne les normes de consommation et les préférences alimentaires. Par exemple, certaines personnes peuvent être soumises à des pressions sociales pour suivre des régimes alimentaires spécifiques ou pour éviter certains aliments en raison de leur statut social.

En outre, le statut social peut influencer l’accès aux moyens de production et de distribution alimentaire, d’où l’idée que les personnes ayant un statut social élevé peuvent avoir accès à des moyens de production alimentaire de qualité supérieure, tels que des fermes biologiques ou des producteurs locaux, alors que les personnes ayant un statut social plus faible peuvent être limitées dans leur accès à ces sources d’aliments. Globalement, l’huile d’olive a, de tous temps, été associée à la distinction sociale et à la richesse dans de nombreux contextes culturels et historiques, et cette association est dès lors renforcée par son association avec une alimentation saine et bénéfique pour la santé.

Ici, deux aspects particuliers se dégagent sur le plan social :

  • l’huile d’olive a été associée à la distinction sociale et à la richesse dans de nombreux contextes culturels et historiques, et cette association a été renforcée par son association avec une alimentation saine et bénéfique pour la santé ;
  • le statut social peut influencer l’accès aux moyens de production et de distribution alimentaire.

En somme, les personnes ayant un statut social élevé peuvent avoir accès à des moyens de production alimentaire de qualité supérieure, tels que des fermes biologiques ou des producteurs locaux, alors que les personnes ayant un statut social plus faible peuvent être limitées dans leur accès à ces sources d’aliments.

Photo : OLiV

Les repères visuels de l’huile d’olive permettent de cibler cette clientèle à la recherche de sophistication et de distinction sociale en utilisant des canaux de marketing de luxe, tels que les magazines de mode et de design de luxe, les événements de dégustation haut de gamme et les programmes de fidélisation exclusifs. En misant sur l’histoire et la tradition de l’huile d’olive, tout en mettant en avant sa production dans des régions reconnues pour leur qualité, comme la Toscane en Italie ou l’Andalousie en Espagne, il devient alors possible de créer ce que l’on pourrait appeler un réseau visuel de l’huile d’olive.

Ce réseau visuel, constitué de repères visuels caractéristiques à l’huile d’olive haut de gamme, forme des parcours sociaux pour des classes sociales ou communautés plus favorisées, et détermine d’autant certaines attitudes et comportements, c’est-à-dire les lieux où se concentre les dimensions symboliques perceptibles en matière d’alimentation.

Statut visuel de l’huile d’olive versus le statut social

L’huile d’olive étant avant tout un produit de distinction sociale, il est donc important de travailler sur l’image de marque de celle-ci afin de créer ce que les publicitaires nomment une identité forte pour la marque. Cela, il va sans dire, inclut la création d’un packaging attrayant et la mise en place de campagnes publicitaires ciblées aux allures léchées et sobres tout en étant attrayantes en se fondant sur les critères suivants : qualités de luxe de l’huile d’olive, sa rareté, sa qualité supérieure, sa méthode de production artisanale, ses avantages pour la santé (propriétés anti-oxydantes, teneur en acides gras mono-insaturés bénéfiques pour le cœur).

Par exemple, cette publicité de l’entreprise OLIV répond aux critères ci-dessus : « L’équipe OLiV vous offre l’expérience « Wow » tout en vous aidant à manger plus sainement et plus naturellement. Notre gamme complète d’huile d’olive extra vierge (EVOO) et de véritable vinaigre balsamique sont des produits entièrement naturels qui le rendent plus pratique pour la cuisine de tous les jours. En utilisant nos formules exclusives pour aromatiser nos produits avec des huiles essentielles naturelles, vous pouvez naturellement aromatiser vos aliments avec tout, des saveurs à base de plantes, aux intrigues épicées ou fruitées et légères1. »

En somme, dans un monde où l’image prédomine, le travail sur les repères visuels d’un produit devient incontournable, peu importe la classe sociale à laquelle il est destiné. On ne s’adresse pas, visuellement parlant, de la même façon aux différentes classes sociales.

© Pierre Fraser (PhD), sociologue – 2022

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Production : Photo|Société
Réalisation : Pierre Fraser

Intervenants

  • Pierre Gravel (directeur La Bouchée Généreuse)
  • Pierre Fraser (sociologue, directeur scientifique de la revue Sociologie Visuelle)

2,00 $ ou +

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La faim a-t-elle un visage ?

Au Québec, en date de novembre 2022, 1 citoyen sur 4 éprouvait non seulement de la difficulté à s’alimenter sainement, mais éprouvait surtout de la difficulté à acheter des aliments afin de combler un besoin aussi élémentaire que celui de se nourrir. La vidéo de gauche est particulièrement explicite à ce sujet où le directeur général de la Bouchée Généreuse (Québec) démontre qu’en l’espace de quelques années seulement le nombre des bénéficiaires a plus que doublé.

Se nourrir est un besoin de base

Synopsis

Au Québec, en date de novembre 2022, 1 citoyen sur 4 éprouvait non seulement de la difficulté à s’alimenter sainement, mais éprouvait surtout de la difficulté à acheter des aliments afin de combler un besoin aussi élémentaire que celui de se nourrir. Cette vidéo est particulièrement explicite à ce sujet où le directeur général de la Bouchée Généreuse (Québec) démontre qu’en l’espace de quelques années seulement le nombre des bénéficiaires a plus que doublé. En fait, la faim est un problème majeur au Canada, où l’on estime que 4 millions de personnes, dont 1,15 million d’enfants, ont du mal à mettre de la nourriture sur la table. Concrètement, la pauvreté et l’exclusion sont deux des problèmes les plus urgents de notre époque, et en cette matière, le travail qui reste à faire relève presque du mythe de Sisyphe.

© Pierre Fraser (PhD), sociologue, 2022

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Les normes alimentaires sont socialement produites et internalisées et passent ainsi de la sphère sociale à la sphère du sujet. À ce titre, les repères visuels de cette photo soigneusement mis en scène, renvoient à une alimentation à l’aune de la santé qui ciblent les classes sociales plus favorisées. (© Photo : Min Che)

Citer cet article
Vignaux Georges (2017), «Du foie gras au macaroni», Plan rapproché, vol. 1, n° 2, Québec : Éditions Photo|Société.

DU FOIE GRAS AU MACARONI, c’est aussi la métaphore de se nourrir en tant que pauvre ou nanti. Le foie gras au torchon est un aliment élitiste, aliment de foodie et de distinction sociale disponible dans les boutiques spécialisées pendant la période du temps des fêtes au Québec, tandis que le macaroni, nourriture de tous les jours, nourriture d’indistinction sociale, est particulièrement disponible dans les banques alimentaires. Toutefois, les deux photos de gauche pointent aussi des tendances prenant forme d’images et de métaphores. Certes, il existe des symboles liés au luxe dont fait partie le foie gras, mais certains de ceux-ci sont des produits de luxe ritualisés dans un contexte social festif, la période de Noël.

Par exemple, il suffit de parler à un Gascon, qui vous confirmera sans équivoque que le foie gras c’est à Noël, parce que les oies ont été gavées à cette époque, et que c’est un produit du terroir dans lequel se reconnaît une communauté culturelle. Donc, si le foie gras est commun dans le Sud-Ouest de la France, il est luxueux à Paris ou à l’étranger. Ainsi, le foie gras n’est pas le signe du riche, mais plutôt le signe de la tendance vers la « distinction » au sens de Bourdieu, c’est-à-dire que ça fait chic, que c’est exceptionnel, tandis que le macaroni c’est tous les jours.

Les pratiques alimentaires ne sont pas seulement des comportements ou des habitudes, mais aussi et surtout des pratiques sociales ayant une dimension imaginaire, symbolique et sociale claire. Ainsi, les pratiques alimentaires ne sont pas seulement des comportements ou des habitudes, car en cela les humains ne se différencient pas du reste de l’espèce, mais aussi et surtout, ce sont des pratiques sociales, et pour cette raison elles impliquent une dimension imaginaire, symbolique et sociale.

Dans son ouvrage La distinction, critique sociale du jugement[1], Pierre Bourdieu avance l’idée que les gens choisissent en fonction de leurs préférences, que celles-ci sont prévisibles, pour autant que l’on connaisse leur milieu social de provenance, mettant ainsi en évidence l’origine sociale du goût et la forte concurrence entre les groupes sociaux pour l’affirmation de la distinction sociale. En explorant les caractéristiques différenciées du régime bourgeois et du régime populaire, Bourdieu parvient à postuler que les différences alimentaires sont avant tout des différences de classe sociale et que les goûts sont façonnés par la culture et contrôlés par la société.

Pour sa part, Norbert Elias, dans son ouvrage Sur le processus de civilisation[2], présente une piste fort intéressante : les changements se produisent sur le long terme et certains de ces changements persistent — les ustensiles de cuisine utilisées au XVIIIe siècle sont encore utilisées. En étudiant les manières de table des classes supérieures de différentes époques, il a pu en conclure qu’il ne s’agit pas d’un changement dans une seule direction, car il existe un comportement d’imitation des élites qui, en plus de modifier le comportement de ceux qui les imitent, modifie celui des couches qui sont imitées dans un processus de différenciation progressive.

Par exemple, les manières de la classe moyenne sont modifiées et elles perdent ainsi le caractère de différenciation de classe, ce qui fait que les élites recherchent un nouveau raffinement qui les distingue des classes sociales inférieures. Pour Elias, les problèmes de changement alimentaire nécessitent une analyse des changements dans le processus de civilisation, car l’expérience historique clarifie la signification de certaines règles, tant les exigences que les interdictions, tant des habitudes de table que dans la sélection des produits. En fait, ce que met en lumière Elias, c’est comment les normes alimentaires sont produites et internalisées, comment elles passent de la sphère sociale à la sphère du sujet.

En ce qui concerne les travaux des sociologues plus classiques, l’attention s’est portée de préférence sur les aspects productifs, en utilisant l’alimentation comme moyen efficace d’apprentissage d’autres manifestations sociales : inégalité, pouvoir, religion, etc. Si la sociologie de l’alimentation a souvent été identifiée à une sociologie de la consommation alimentaire, en même temps, et sans guère de lien avec la sociologie de la consommation, s’est développé une sociologie des systèmes alimentaires qui trouve son origine dans l’économie et dans la sociologie agricole, en particulier dans les études agro-alimentaires — une ligne centrée surtout sur la production mais qui s’oriente vers le monde de la consommation.

L’un des défis actuels de la sociologie de l’alimentation est-il d’articuler les deux aspects, production et consommation, dans les mêmes cadres théoriques ? De là, la sociologie photographique peut-elle contribuer à articuler ses deux aspects ? Autrement, le cadre de Bourdieu et celui d’Elias sont-ils plus appropriés pour un travail de sociologie photographique portant sur la distinction sociale en matière d’alimentation ? La question reste ouverte.


[1] Bourdieu, P. (1979), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris : Éditions de minuit.
[2] Elias, N. (1989), La civilisation des mœurs, Paris : Pocket.

Parcours visuels

Dans un marché public, les affiches et les agencements de produits que les commerçants mettent en place tracent des parcours incitant à la consommation. (© Photo : Pierre Fraser, 2015)

Dans un supermarché, les parcours visuels ont fait l’objet d’une analyse toute particulière afin de maximiser les ventes, dont, à l’entrée, fruits, légumes, poissonnerie, boulangerie, charcuterie, boucherie. (Photo du domaine public)

Définition

1. Un parcours visuel est constitué de repères visuels propres à certains espaces clairement délimités (l’espace et le territoire, le tangible)

2. Un parcours visuel forme des parcours de déplacements orientés dans telle ou telle direction en fonction de l’espace dans lequel il s’inscrit (les lieux où se concentre les dimensions physiques perceptibles).

Dans un marché public, les affiches et les agencements de produits que les commerçants mettent en place tracent des parcours invitant à la consommation. Dans un supermarché, ces parcours visuels ont fait l’objet d’une analyse toute particulière afin de maximiser les ventes : à l’entrée, fruits, légumes, poissonnerie, boulangerie, charcuterie, boucherie ; au centre, les produits transformés ; aux deux tiers, les produits de nettoyage, d’hygiène personnelle, et la nourriture pour animaux ; à l’extrémité les surgelés ; au fond, les produits laitiers et les viandes emballées.

Chaque allée d’un supermarché est identifiée par une affiche dressant la liste des produits qui s’y retrouvent. Chaque produit a lui-même fait l’objet d’une conception toute particulière pour attirer le consommateur. Tout, dans un supermarché, constitue des parcours visuels incitant à la consommation. Les parcours visuels sont aussi des parcours sociaux. À ce titre, la disposition de ce qui est offert dans une banque alimentaire est avant tout parcours social de la défavorisation qui n’incite en rien à la consommation, mais bien plutôt à combler une besoin de base, se nourrir.

Dans un supermarché à escompte, les produits sont disposés sur d’immenses étals similaires à ceux des entrepôts. Dans un supermarché standard, les produits sont disposés sur des présentoirs d’une hauteur maximale de 2 mètres. La localisation d’un supermarché, dans un quartier défavorisé, ou dans un quartier de la strate médiane de la classe moyenne, ou dans un quartier nanti, détermine la gamme de produits qui sera offerte. Concrètement, la localisation d’un supermarché définit en partie certaines pratiques alimentaires.

La banque alimentaire, tout comme le marché public, tout comme le supermarché, est confrontée à une seule et même contrainte : rendre accessibles le plus facilement possible les produits offerts gratuitement. Cependant, il y a une différence, et cette différence est majeure : alors que le commerçant du marché public et du supermarché jouent d’ingéniosité dans la mise en valeur de ses produits pour attirer le consommateur, la banque alimentaire n’a pas à se préoccuper de cette portion de la transaction commerciale : les produits sont disposés pêle-mêle sur des tables alignées les unes à la suite des autres. Il s’agit de mettre en place un circuit de denrées et de produits, c’est-à-dire un parcours visuel spécifique, un peu comme à la cafétéria, où le bénéficiaire se sert à la carte à travers une offre souvent fort limitée de produits.

Autrement, les graffitis, les bâtiments délabrés et le mobilier urbain abîmé agissent comme repères visuels qui tracent des parcours de la défavorisation. Autrement, l’attitude corporelle des gens et leurs vêtements sont autant de repères visuels qui tracent des parcours visuels : une personne vêtue à la dernière mode n’a pas les mêmes parcours géographiques et sociaux qu’une personne aux vêtements élimés et défraîchis.

Autre exemple, une église a toujours été un lieu-mouvements, c’est-à-dire un espace au sens fort de la plénitude sociale, qui se constitue comme lieu de connectivités concrètes (le tangible) et symboliques (l’intangible). Ces connectivités résident autant dans les pratiques de cet espace que dans les différents plans de lectures cognitives et symboliques que cet espace favorisera à travers ses repères visuels, ses parcours visuels et ses réseaux visuels. Une église est aussi une frontière visuelle, c’est-à-dire qu’elle est avant tout une limite physique, car elle circonscrit un territoire visuel dont les repères visuels relèvent de la foi catholique.

En ce sens, entrer dans une église, c’est aussi entrer dans un réseau visuel riche et dense composé d’une multitude de repères visuels d’ordre architectural — abside, chapelle, chœur, clocher, clocher-porche, crypte, déambulatoire, flèche, nef, parvis, transept, vitraux, voûtes —, de l’ordre du mobilier — autel, ambon, balustres, cathèdre, chaire, crédence, croix, confessionnaux, jubé, lutrin, prie-Dieu, stalles —, de l’ordre du culte — calice, ciboire, chemin de croix, cierges, crucifix, fonts baptismaux, hostie, patène, tabernacle, statues, vêtements sacerdotaux, vin. Ce réseau visuel, constitué de repères visuels propres au culte et à la dimension culturelle, permet leur identification et leur localisation dans le but de déclencher une action liée à la dimension religieuse. L’église est aussi parcours visuel, c’est-à-dire qu’elle est un espace circonscrit composé d’une multitude de repères visuels constitués en réseau visuel dans lequel évolue un individu dans le but d’accomplir une action ou un ensemble d’actions liées au culte, formant ainsi des parcours sociaux normalisant des attitudes et comportements spécifiques.

© Pierre Fraser (PhD), Georges Vignaux (PhD), 2018 / texte

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Soupe de poissons à prix fort

Les produits Leader Price vendus au Québec , à moins que le consommateur québécois ne le sache pas, sont des produits d’entrée de gamme en France. D’ailleurs, Leader Price se positionne comme « une enseigne où l’on peut concilier prix bas et plaisir » et c’est « le choix malin pour vivre bien ». Ce qui devrait particulièrement retenir notre attention, en tant que consommateur, c’est le discours proposé par cette société autour de ses propres produits. J’ai souligné en italique les éléments les plus importants à retenir :

  • Chez Leader Price, nous luttons chaque jour pour vous offrir des prix bas et des produits de qualité rigoureusement sélectionnés.
  • Chez Leader Price, nous proposons chaque jour des viandes, des fruits et des légumes de saison, en privilégiant l’origine France et à prix Leader Price.
  • Leader Price, c’est près de 600 magasins à taille humaine, partout en France, où l’on peut avoir des prix bas à côté de chez soi.
  • Chez Leader Price, offrir une expérience d’achat agréable, c’est une question de respect. C’est pour cela que nous travaillons à la rénovation de nos magasins et de nos emballages.
  • Chez Leader Price, les prix bas sont permanents et les produits sélectionnés, pour vous offrir un choix juste répondant aux besoins du quotidien, sans superflu.

D’une part, il y a cette idée que cette entreprise lutte pour le plus grand bien de ses consommateurs. Pour rappel, une entreprise est là pour faire des profits et non pour faire la charité. De plus, la lutte dont il est ici question est avant tout soumise aux conditions générales du marché des denrées alimentaires sur lequel Leader Price a peu d’emprise : elle ne fait qu’acheter en grandes quantités des produits offerts par des producteurs ou de grands distributeurs dont le prix est déjà fixé. Conséquemment, vendre à bas prix oblige à mentionner que même si le prix est bas, il est tout de même de qualité. Ce discours entre dans la même logique que celui des politiciens qui disent couper dans les services dédiés aux citoyens pour mieux les servir : faire plus avec moins. D’autre part, Leader Price joue sur cinq tableaux au niveau de l’affect : l’origine de la provenance des produits, jouer sur la fibre nationale ; des commerces à taille humaine, jouer sur l’entre soi ; des commerces tout près de chez soi, jouer sur le concept de commerce de proximité ; des produits répondant aux besoins du quotidien, jouer sur la consommation responsable ; offrir une expérience d’achat — Saint Graal des commerçants —, jouer sur l’immersion émotive.

© Pierre Fraser (PhD), texte et photos, 2020