Quand le pain industriel s’oppose au pain artisanal

Visuellement parlant, tout, dans une boulangerie industrielle, semble contrevenir au respect de l’environnement, à la qualité et à la saveur du pain, à l’économie locale, à la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, loin d’être pétrie par le lent labeur des mains, l’est plutôt par des moyens mécaniques.

En contraste

Pain industriel

Dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. Depuis les années 1960, les environnementalistes ont particulièrement mis en opposition les aspects industriels et artisanaux de divers domaines. Que ce soit dans l’agriculture, où l’on oppose l’agriculture à grande échelle à l’agriculture biologique, la production maraîchère mondiale à la production locale et de proximité, ou encore dans l’élevage, où l’élevage intensif peu soucieux du bien-être animal est opposé à l’élevage extensif favorisant les vastes espaces et les pâturages naturels. Ce discours de la rusticité s’est développé, mettant en valeur la durabilité environnementale. À ce titre, le pain n’a pas échappé à cette opposition, et les grandes boulangeries industrielles ont de facto été associées à une surproduction et à un gaspillage alimentaire importants. À l’inverse, les artisans boulangers produisent généralement en fonction de la demande locale, permettant d’autant de limiter le gaspillage et de réduire la quantité de déchets alimentaires.

D’un point de vue visuel, une boulangerie industrielle semble en totale contradiction avec le respect de l’environnement, la qualité et la saveur du pain, l’économie locale, et la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, au lieu d’être pétrie laborieusement à la main, est plutôt manipulée de manière mécanique. Mais, il ne faut pas être dupe de l’image iconique renvoyée par la fabrication du pain artisanal dans un milieu lui-même tout aussi artisanal, avec ses couleurs chaudes où la présence du bois plutôt que du métal domine, car cette représentation vise avant tout à promouvoir une image commerçante et commerciale ; l’artisan doit vendre pour vivre. Les éclairages dans la représentation iconique du pain artisanal ne sont qu’un aspect parmi d’autres pour créer une ambiance et une identité visuelle particulière : la disposition des produits, le choix des matériaux, et la décoration jouent également un rôle important. Il s’agit d’instaurer une atmosphère chaleureuse, évoquant des souvenirs d’odeurs de pain frais et de moments partagés autour d’une table.

À l’inverse, rarement voit-on des images d’une boulangerie industrielle, car la représentation iconique industrielle du pain n’est pas très vendeuse. Souvent plus axé sur la production en masse et la distribution à grande échelle, l’objectif principal des grandes entreprises industrielles de la boulangerie est avant tout de maximiser l’efficacité et les bénéfices à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Conséquemment, pourquoi mettre en avant leur image iconique dans leurs stratégies de marketing ?

En revanche, les grandes boulangeries industrielles ne mettront pas en avant le lieu de fabrication du pain dans leur stratégie marketing comme le feraient les petites boulangeries artisanales, car ici, tout est centré sur la production en masse et la distribution à grande échelle, afin de maximiser l’efficacité et les bénéfices, allant à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Par conséquent, pourquoi mettraient-elles en avant cette image iconique « artisanale » dans leurs stratégies de marketing ? La réponse à cette question réside dans la nécessité de répondre aux attentes des consommateurs et de rester compétitives sur le marché. Bien que l’image de l’artisanat soit valorisée, de nombreuses personnes sont également attirées par la commodité et l’accessibilité des produits de boulangerie industrielle. Ainsi, les grandes entreprises cherchent à créer une image attrayante pour séduire ces consommateurs et mettent en avant des éléments tels que la fraîcheur, la praticité, la variété et le prix abordable, afin de convaincre les consommateurs de choisir leurs produits. Imaginons un instant si les grandes boulangeries industrielles diffusaient des images comme celles-ci pour mousser leurs ventes. Auraient-elles le même potentiel marketing de représentation iconique que celle du pain artisanal ?

Imaginons un instant que, pour leur stratégie marketing, les boulangeries industrielles décidaient de montrer l’intérieur de l’usine comme le fait la boulangerie artisanale en modifiant leurs éclairages, passant des lumières blanches et froides à des lumières plus chaudes et moins vives. Pourraient-elles ainsi changer la charge symbolique productiviste qui leur est associée ? Est-ce que l’utilisation d’un éclairage plus doux et chaleureux dans l’environnement d’une boulangerie industrielle pourrait créer une ambiance plus conviviale et accueillante, évoquant l’atmosphère artisanale traditionnelle ? En d’autres termes, est-il possible que des éclairages plus doux contribuent à créer une sensation de proximité et de convivialité, en accord avec l’image traditionnelle du pain ? Rien n’est moins certain, comme le montre l’exercice sémiographique ci-dessous.

En fait, les boulangeries industrielles n’ont pas à montrer le lieu de fabrication du pain, mais plutôt à montrer le produit final, à le mettre en valeur à travers différentes stratégies marketing, à faire croire aux consommateurs qu’elles peuvent aussi fabriquer des pains artisanaux ayant les mêmes qualités et la même saveur que ceux de votre boulangerie du coin. Donc deux régimes iconiques en opposition pour la représentation du pain :

  • le pain artisanal montre un lieu et son produit, finalisé ou en préparation, à travers une mise en scène où les éclairages créent une atmosphère chaleureuse et accueillante, contribuant ainsi à créer une sensation de proximité et de convivialité, correspondant davantage à l’image traditionnelle du pain ;
  • le pain industriel montre un produit finalisé à travers une mise scène mettant en valeur sa fraîcheur, sa praticité, sa variété et son prix abordable.

En début d’article je soulignais que, dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. En fait, l’iconique du pain artisanal et du pain commercial fonctionne parce qu’il y a opposition. Cette différenciation facilite la compréhension et la communication en fournissant des distinctions claires entre les significations et les usages. Même si les deux types de pain ont une même finalité, soit celle de s’alimenter, ils le font sur une représentation iconique différente, fournissant non seulement une structure au message à véhiculer en facilitant son acquisition et son utilisation destinées à des clientèles socioéconomiquement différenciées, mais aussi en permettant de s’adapter aux besoins changeants des consommateurs et de refléter leurs évolutions culturelles et sociales. Tout n’est que stratégie commerçante et commerciale, qu’il s’agisse de pain artisanal ou de pain commercial.

En somme, l’opposition iconique du pain artisanal versus le pain industriel joue essentiellement un rôle dans la construction et la distinction sociales de l’identité du consommateur et de sa diversité alimentaire. Les différentes oppositions ici présentes reflètent en fait les particularités socioéconomiques et socioculturelles de ce dernier. Le pain artisanal est-il meilleur que le pain industriel, que ce soit au niveau de sa saveur ou de sa qualité nutritive ? Une représentation iconique n’a pas à répondre à cette question, elle ne sert qu’à proposer une différenciation sociale.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Le repas santé et ses incontournables repères visuels

Léchée, sobre, attrayante, couleurs chaudes, la symbolique visuel du repas santé a la possibilité d’influencer notre perception et notre appréciation de la nourriture, ainsi que notre motivation à manger de manière équilibrée. À l’inverse, on aura tendance à représenter la nourriture « moins santé » en mettant l’accent sur sa saveur ou son caractère réconfortant plutôt que son aspect visuel et son apparence esthétique.

En contraste

Les aliments avec un ratio de satiété plus élevé sont ceux qui tendent à procurer une sensation de satiété plus durable, malgré une quantité d’énergie relativement faible.

Léchée, sobre, attrayante, couleurs chaudes, la symbolique visuel du repas santé a la possibilité d’influencer notre perception et notre appréciation de la nourriture, ainsi que notre motivation à manger de manière équilibrée. À l’inverse, on aura tendance à représenter la nourriture « moins santé » en mettant l’accent sur sa saveur ou son caractère réconfortant plutôt que son aspect visuel et son apparence esthétique. Non seulement les aliments colorés, tels que les fruits et légumes frais, ajoutent-ils de la vibrance et de l’attrait visuel à un repas santé, mais ils indiquent aussi aussi une diversité de nutriments. On y trouvera des protéines maigres, des légumes, des sources de graisses saines, d’où la présence récurrente d’un flacon d’huile d’olive et d’une coupe de vin rouge. Des herbes fraîches, des épices, des graines ou des garnitures seront également utilisés pour ajouter une touche de décor à un plat, le rendant d’autant plus plus attrayant visuellement.

La dimension iconique d’un repas santé ne se limite pas seulement à son apparence, mais englobe également la façon dont il est représenté dans les médias, la publicité ou les réseaux sociaux. Il y a là toute une industrie du visuel qui incite à la santé, mais qui oublie que ce qu’elle présente n’a rien à voir avec la réalité. Elle crée une image que nous tentons dès lors de reproduire, toutefois inaccessible, et qui persiste dans notre représentation de ce qui devrait être une alimentation santé, c’est-à-dire créer des attentes irréalistes ou un sentiment de découragement chez ceux qui pensent qu’ils ne peuvent pas atteindre ces normes iconiques. Et si cette représentation de plats sophistiqués, d’ingrédients exotiques ou d’arrangements artistiques, donnaient plutôt l’impression que l’alimentation saine est inaccessible ou réservée à une élite ? Non seulement oublie-t-on trop souvent que les connaissances en matière de nutrition et les compétences en matière de préparation des repas varient selon les groupes socio-économiques, mais on oublie aussi parfois que les aliments avec un ratio de satiété plus élevé sont ceux qui tendent à procurer une sensation de satiété plus durable, malgré une quantité d’énergie relativement faible.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023