Quand le pain industriel s’oppose au pain artisanal

Visuellement parlant, tout, dans une boulangerie industrielle, semble contrevenir au respect de l’environnement, à la qualité et à la saveur du pain, à l’économie locale, à la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, loin d’être pétrie par le lent labeur des mains, l’est plutôt par des moyens mécaniques.

En contraste

Pain industriel

Dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. Depuis les années 1960, les environnementalistes ont particulièrement mis en opposition les aspects industriels et artisanaux de divers domaines. Que ce soit dans l’agriculture, où l’on oppose l’agriculture à grande échelle à l’agriculture biologique, la production maraîchère mondiale à la production locale et de proximité, ou encore dans l’élevage, où l’élevage intensif peu soucieux du bien-être animal est opposé à l’élevage extensif favorisant les vastes espaces et les pâturages naturels. Ce discours de la rusticité s’est développé, mettant en valeur la durabilité environnementale. À ce titre, le pain n’a pas échappé à cette opposition, et les grandes boulangeries industrielles ont de facto été associées à une surproduction et à un gaspillage alimentaire importants. À l’inverse, les artisans boulangers produisent généralement en fonction de la demande locale, permettant d’autant de limiter le gaspillage et de réduire la quantité de déchets alimentaires.

D’un point de vue visuel, une boulangerie industrielle semble en totale contradiction avec le respect de l’environnement, la qualité et la saveur du pain, l’économie locale, et la préservation des savoir-faire ancestraux. La pâte, au lieu d’être pétrie laborieusement à la main, est plutôt manipulée de manière mécanique. Mais, il ne faut pas être dupe de l’image iconique renvoyée par la fabrication du pain artisanal dans un milieu lui-même tout aussi artisanal, avec ses couleurs chaudes où la présence du bois plutôt que du métal domine, car cette représentation vise avant tout à promouvoir une image commerçante et commerciale ; l’artisan doit vendre pour vivre. Les éclairages dans la représentation iconique du pain artisanal ne sont qu’un aspect parmi d’autres pour créer une ambiance et une identité visuelle particulière : la disposition des produits, le choix des matériaux, et la décoration jouent également un rôle important. Il s’agit d’instaurer une atmosphère chaleureuse, évoquant des souvenirs d’odeurs de pain frais et de moments partagés autour d’une table.

À l’inverse, rarement voit-on des images d’une boulangerie industrielle, car la représentation iconique industrielle du pain n’est pas très vendeuse. Souvent plus axé sur la production en masse et la distribution à grande échelle, l’objectif principal des grandes entreprises industrielles de la boulangerie est avant tout de maximiser l’efficacité et les bénéfices à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Conséquemment, pourquoi mettre en avant leur image iconique dans leurs stratégies de marketing ?

En revanche, les grandes boulangeries industrielles ne mettront pas en avant le lieu de fabrication du pain dans leur stratégie marketing comme le feraient les petites boulangeries artisanales, car ici, tout est centré sur la production en masse et la distribution à grande échelle, afin de maximiser l’efficacité et les bénéfices, allant à l’encontre même de l’image traditionnelle et artisanale associée au pain. Par conséquent, pourquoi mettraient-elles en avant cette image iconique « artisanale » dans leurs stratégies de marketing ? La réponse à cette question réside dans la nécessité de répondre aux attentes des consommateurs et de rester compétitives sur le marché. Bien que l’image de l’artisanat soit valorisée, de nombreuses personnes sont également attirées par la commodité et l’accessibilité des produits de boulangerie industrielle. Ainsi, les grandes entreprises cherchent à créer une image attrayante pour séduire ces consommateurs et mettent en avant des éléments tels que la fraîcheur, la praticité, la variété et le prix abordable, afin de convaincre les consommateurs de choisir leurs produits. Imaginons un instant si les grandes boulangeries industrielles diffusaient des images comme celles-ci pour mousser leurs ventes. Auraient-elles le même potentiel marketing de représentation iconique que celle du pain artisanal ?

Imaginons un instant que, pour leur stratégie marketing, les boulangeries industrielles décidaient de montrer l’intérieur de l’usine comme le fait la boulangerie artisanale en modifiant leurs éclairages, passant des lumières blanches et froides à des lumières plus chaudes et moins vives. Pourraient-elles ainsi changer la charge symbolique productiviste qui leur est associée ? Est-ce que l’utilisation d’un éclairage plus doux et chaleureux dans l’environnement d’une boulangerie industrielle pourrait créer une ambiance plus conviviale et accueillante, évoquant l’atmosphère artisanale traditionnelle ? En d’autres termes, est-il possible que des éclairages plus doux contribuent à créer une sensation de proximité et de convivialité, en accord avec l’image traditionnelle du pain ? Rien n’est moins certain, comme le montre l’exercice sémiographique ci-dessous.

En fait, les boulangeries industrielles n’ont pas à montrer le lieu de fabrication du pain, mais plutôt à montrer le produit final, à le mettre en valeur à travers différentes stratégies marketing, à faire croire aux consommateurs qu’elles peuvent aussi fabriquer des pains artisanaux ayant les mêmes qualités et la même saveur que ceux de votre boulangerie du coin. Donc deux régimes iconiques en opposition pour la représentation du pain :

  • le pain artisanal montre un lieu et son produit, finalisé ou en préparation, à travers une mise en scène où les éclairages créent une atmosphère chaleureuse et accueillante, contribuant ainsi à créer une sensation de proximité et de convivialité, correspondant davantage à l’image traditionnelle du pain ;
  • le pain industriel montre un produit finalisé à travers une mise scène mettant en valeur sa fraîcheur, sa praticité, sa variété et son prix abordable.

En début d’article je soulignais que, dans notre monde, tout semble s’opposer à quelque chose. En fait, l’iconique du pain artisanal et du pain commercial fonctionne parce qu’il y a opposition. Cette différenciation facilite la compréhension et la communication en fournissant des distinctions claires entre les significations et les usages. Même si les deux types de pain ont une même finalité, soit celle de s’alimenter, ils le font sur une représentation iconique différente, fournissant non seulement une structure au message à véhiculer en facilitant son acquisition et son utilisation destinées à des clientèles socioéconomiquement différenciées, mais aussi en permettant de s’adapter aux besoins changeants des consommateurs et de refléter leurs évolutions culturelles et sociales. Tout n’est que stratégie commerçante et commerciale, qu’il s’agisse de pain artisanal ou de pain commercial.

En somme, l’opposition iconique du pain artisanal versus le pain industriel joue essentiellement un rôle dans la construction et la distinction sociales de l’identité du consommateur et de sa diversité alimentaire. Les différentes oppositions ici présentes reflètent en fait les particularités socioéconomiques et socioculturelles de ce dernier. Le pain artisanal est-il meilleur que le pain industriel, que ce soit au niveau de sa saveur ou de sa qualité nutritive ? Une représentation iconique n’a pas à répondre à cette question, elle ne sert qu’à proposer une différenciation sociale.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

BigMac défavorisé laissé à l’abandon

Dans cet article, l’équipe de Photo|Société débute l’exploration d’un tout nouveau champ qui s’ouvre désormais avec la sémiologie générative.

Lorsqu’une œuvre d’art provoque une réflexion, considère-t-on pour autant qu’elle a atteint son objectif ? Permet-elle d’élargir la compréhension et la perception du monde ? Peut-elle conduire à des discussions et des débats sur des questions d’ordre social, politique, culturel, et parfois même personnel ? Pour répondre à ces questions, le BigMac ici représenté est ce que l’on nomme en sociologie visuelle de l’insolite en contexte, c’est-à-dire une situation où un élément visuel ou une image apparaît comme inhabituel ou surprenant dans un certain contexte social, culturel ou visuel. L’insolite en contexte signale donc une déviance par rapport à la norme dominante. Cette scène pourrait être analysée de manière sémiotique en examinant les signes présents dans le lieu, le moment de la journée, l’éclairage, le contexte et le sujet :

  • le lieu, l’arrière extérieur d’un fast-food, peut être considéré comme un lieu de passage, un lieu de consommation rapide et impersonnelle ;
  • le choix de ce lieu suggère peut-être un désir d’échapper aux regards des autres ou de cacher quelque chose ;
  • le moment de la journée, le soir, peut être interprété comme une période de transition entre la lumière du jour et l’obscurité de la nuit, une période d’incertitude et de changement — cette atmosphère de transition est renforcée par l’éclairage feutré, qui crée une ambiance sombre et mystérieuse ;
  • le contexte, composé d’une poubelle, d’une souris, de déchets sur le sol et d’un BigMac dégoulinant de fromage posé sur le sol et adossé à la poubelle, peut être interprété comme une critique de la société de consommation et de l’impact de la production de masse sur l’environnement ;
  • les déchets et la poubelle suggèrent une société qui produit trop de déchets et ne se préoccupe pas de leur traitement ou de leur recyclage ;
  • le rat est souvent associé à l’insalubrité, la cupidité, la tromperie, la prédation et l’individualisme, d’où l’idée d’un capitalisme sauvage prêt à tout ;
  • le BigMac dégoulinant de fromage, abandonné sur le sol, peut être interprété comme un signe de la surabondance de la nourriture et de la culture de la consommation rapide ;
  • ce BigMac, tout comme un sans-abri, est laissé à lui-même dans un milieu défavorisé inquiétant où rôdent les rats.

On peut vraisemblablement avancé l’idée que cette scène peut être comprise comme une critique de la société de consommation moderne, de son impact sur l’environnement et de la surabondance des produits de consommation rapide, tout en reflétant une ambiance sombre et mystérieuse créée par l’éclairage feutré et le moment de la journée choisi. Cependant, là où les choses deviennent intéressantes, c’est le comment de la production de ces images. Je m’explique. J’ai à la fois une formation en linguistique (master) et en sociologie (doctorat). En linguistique, je me suis particulièrement intéressé à la sémiologie, et en sociologie mon intérêt a surtout porté sur la sociologie visuelle. En somme, une combinaison idéale pour comprendre la nature même de notre environnement visuel.

La sémiologie est cette discipline qui étudie les signes, leur production, leur interprétation et leur utilisation dans la communication humaine. Elle s’intéresse à la manière dont les signes, tels que les mots, les images, les gestes, les sons et les objets, sont utilisés pour transmettre des informations et des significations dans différentes cultures et contextes. De plus, et c’est là que s’effectue mon ancrage, car étant donné que la sémiologie est souvent associée à la linguistique, puisqu’elle considère les mots comme des signes linguistiques qui ont une signification qui peut s’appliquer à d’autres domaines de la communication (publicité, art, culture populaire, mode, architecture, la musique, etc.), je ne peux faire l’économie de cette dimension.

L’émergence de l’intelligence artificielle m’a particulièrement interpellé à ce sujet, surtout du moment qu’est devenu possible la capacité de générer des images à partir de mots. De là, j’ai élaboré des contextes sémiotiques complexes que j’ai par la suite fourni à un générateur d’images, d’où les clichés ici obtenus. Donc, si on part du principe que la sémiologie cherche à comprendre comment les signes sont produits et interprétés, comment ils acquièrent des significations, comment ils sont utilisés pour communiquer des messages et comment ils peuvent être manipulés pour influencer le comportement et les attitudes des individus, la sémiologie générative ouvre ici un tout nouveau champ d’explorations.

La sémiologie générative est cette approche théorique développée dans les années 1960 par Algirdas Julien Greimas et ses collaborateurs. Elle s’intéresse (i) aux structures profondes de la signification, c’est-à-dire aux schémas qui organisent les significations dans les textes et les discours et (ii) aux relations sémantiques entre les signes, c’est-à-dire aux relations qui existent entre les significations des signes et les différentes catégories sémantiques.

De là, mon hypothèse est la suivante : la sémiologie générative, en s’appuyant sur l’imagerie générative, permet de générer des images à partir de schémas textuels sémiotiques qui organisent les significations d’un contexte visuel inexistant fabriqué par une intelligence artificielle. Il va sans dire que ce n’est pour le moment qu’une hypothèse et que rien ne la valide, la nuance ou l’infirme.

La question qu’il faut maintenant se poser est la suivante : s’il est possible de générer des images à partir de critères sémiotiques, cela veut-il pour autant dire qu’il est possible de mettre en évidence les structures profondes de leur signification ?

Le débat est à la fois ouvert sur la sémiologie générative et sur la notion de droits d’auteurs en matière d’imagerie générative !

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023

Esthétiser la pauvreté en photographie

La question de savoir si l’on peut esthétiser la pauvreté à travers la photographie est complexe et suscite des débats parmi les professionnels de l’image et les experts en éthique.

La question de savoir si l’on peut esthétiser la pauvreté à travers la photographie est complexe et suscite bien des débats parmi les professionnels de l’image et les experts en éthique.

La pratique de la sociologie visuelle consiste essentiellement à utiliser la photographie pour documenter et analyser des phénomènes sociaux, tels que les inégalités sociales, la diversité culturelle, les relations de pouvoir, etc. Dans cette pratique, la dimension esthétique de l’image peut sembler secondaire par rapport à sa fonction documentaire ou informative, mais elle peut également jouer un rôle important, notamment pour communiquer des messages, susciter des émotions ou des réactions, ou encore pour inciter le public à s’engager davantage sur certaines questions sociales. Ainsi en va-t-il de la représentation esthétique des inégalités sociales et particulièrement de la pauvreté, car elle crée une ambiance ou une atmosphère particulière, suscitant par là même une émotion ou une réaction émotionnelle, qui peut alors incité à réfléchir ou à agir sur la question sociale en question.

Peut-on dès lors affirmer que les trois photos de gauche (quartier Saint-Roch de Québec, 2022) contribuent réellement à montrer les inégalités sociales et à faire prendre conscience que, même dans un quartier en processus d’embourgeoisement, la pauvreté est et demeure un phénomène réel et persistant ?

D’une part, certains peuvent soutenir que la photographie esthétique peut aider à sensibiliser le public aux conditions difficiles dans lesquelles vivent les personnes défavorisées, et que certains types d’images puissent inspirer une action positive pour aider à améliorer leur situation. Dans ce sens, la photographie esthétique peut également être un moyen efficace de communiquer des messages porteurs afin de promouvoir certains changements de nature sociale.

D’autre part, certains critiques soutiennent que la représentation esthétique de la pauvreté peut être problématique, voire abusive et exploitante. Ces derniers affirment que la mise en scène de la pauvreté dans une optique artistique peut donner une fausse impression de la réalité et encourager à voir la pauvreté comme quelque chose empreint d’un certain esthétisme romantique ou pittoresque. De plus, l’utilisation de ces images, sans le consentement ou la participation active des sujets photographiés, peut perpétuer les stéréotypes et les préjugés en réduisant les personnes pauvres à des objets de curiosité ou de pitié. Cet aspect n’est ni banal ni trivial. De là, il faut se poser quelques questions :

  • Ces photographies sont-elles utiles dans un monde visuel saturé d’images et d’informations ?
  • Est-il possible que la surexposition de ces images ait fini par les rendre moins efficaces ou même contre-productives, en rendant le public moins réceptif à leur message ou en les faisant apparaître comme des stéréotypes ?
  • Ces photographies représentant la pauvreté ont-elles un impact important, en particulier dans les contextes où les inégalités sociales restent élevées ou où la défavorisation est un enjeu majeur ?

La réponse à ces questions n’est pas simple et soulève bien d’autres questions quant à la représentation esthétique de la pauvreté :

  • Comment respecter les droits et la dignité des sujets photographiés tout en évitant de les exploiter pour un gain personnel ou artistique ?
  • Comment être conscients des effets potentiellement négatifs de ce type de photographie sur les personnes et les communautés qu’ils représentent ?
  • Quelles mesures prendre pour en minimiser les effets ?
  • Comment prendre en compte la dimension éthique pour représenter de manière authentique et respectueuse la réalité de la pauvreté ?

Malgré toutes les réponses ou constats que l’on pourrait obtenir en tentant de répondre à ces questions, un autre phénomène émerge qui en soulève plusieurs autres, du moment où les photographies sont générées par l’IA, ce qui est ici le cas (photos générées à partir de paramètres liés au quartier Saint-Roch lors de l’été 2022). De là, quels critères s’imposent alors pour traiter de l’esthétisation de la pauvreté ?

Il s’agit là d’un dossier à suivre, car l’IA doit-elle être exclue de la pratique de la sociologie visuelle ou intégrée en partie à celle-ci ?

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023 | Photos générées par Dall-E.

Le télétravail et ses repères visuels

Si l’ergonomie fait référence à la manière dont le bureau à domicile et le mobilier à installer sont conçus afin de garantir la santé physique et mentale des personnes, réduisant ainsi les risques et les blessures possibles, il va sans dire que la première étape pour obtenir un bureau à domicile ergonomique est vraisemblablement d’opter pour des meubles qui permettent une posture correcte, facilitant ainsi le repos du corps pendant les heures passées à travailler en position assise, tout en offrant une liberté de mouvement et des changements posturaux confortables et fluides qui favorisent le bien-être des personnes.

Adopter les comportements appropriés en matière de télétravail, d’où l’idée d’une bonne chaise ergonomique afin d’augmenter l’efficacité et la productivité. (© Photo : Actiu, Trim azul aluminio)

Avec l’introduction et la généralisation du télétravail, de nombreuses personnes passent leur journée de travail dans leur bureau à domicile. Mais « comment obtenir le bureau à domicile idéal, qui devient un espace de travail efficace et qui s’adapte aux dimensions et aux caractéristiques du logement ? Si l’ergonomie fait référence à la manière dont le bureau à domicile et le mobilier à installer sont conçus afin de garantir la santé physique et mentale des personnes, réduisant ainsi les risques et les blessures possibles, il va sans dire que la première étape pour obtenir un bureau à domicile ergonomique est vraisemblablement d’opter pour des meubles qui permettent une posture correcte, facilitant ainsi le repos du corps pendant les heures passées à travailler en position assise, tout en offrant une liberté de mouvement et des changements posturaux confortables et fluides qui favorisent le bien-être des personnes1. » On reconnaît donc là tous les lieux communs liés à la notion d’ergonomie et de télétravail. Du point de vue de la sociologie visuelle, on reconnaît également là les 4 fonctions d’un repère visuel, à savoir :

  • signaler en vue de l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions ; dans le cas présent, il est essentiel de prendre en considération le nombre d’heures par jour que nous passons assis sur notre chaise de bureau à domicile, donc de l’éventuelle nécessité d’investir dans une chaise ergonomique ;
  • localiser d’autres repères qui doivent déclencher une action (le repère est élément de réseau), c’est-à-dire, dans un contexte de télétravail, s’ajoutent les risques liés à une mauvaise posture : un dos voûté ou des points de pression localisés en position assise peuvent entraîner de graves problèmes de santé à moyen ou long terme ;
  • confirmer qu’un individu adopte les comportements appropriés, et c’est pourquoi il serait essentiel d’investir dans une bonne chaise de bureau ergonomique ;
  • combler certaines attentes, c’est-à-dire que, dans un tel cas de figure, la prise en compte de l’ergonomie dans le bureau à domicile n’apporte pas seulement des bénéfices pour la santé à moyen et long terme, car l’accent mis sur le confort et l’ergonomie de l’espace de travail à domicile améliore et prolonge le temps de concentration et réduit les interruptions et les distractions dues aux déplacements et aux repositionnements.

Autrement dit, l’ensemble des 4 fonctions des repères visuels liés à une chaise ergonomique doivent avant tout répondre à des objectifs d’efficacité et de productivité, les maîtres-mots d’un monde du travail en constante mutation. On dira donc, du point de vue de la sociologie visuelle, que les repères visuels de l’ergonomie dans un bureau visent non seulement à proposer d’améliorer la qualité de la vie professionnelle des personnes (en leur apportant confort et sécurité et en améliorant l’environnement de travail, tant dans les équipes de bureaux ouverts que dans le cadre du télétravail), mais visent aussi à faire en sorte que le travailleur, en voyant une chaise ergonomique, sache qu’il se trouvera dans un environnement idéal et bien équipé, avec tous les éléments pour profiter d’une journée de travail où la santé et le bien-être seront pris en charge ; conséquemment, l’efficacité et les performances augmenteront inévitablement. C’est bien ce à quoi prétendent les repères visuels d’une bonne chaise ergonomique.

Référence
1 Actiu (2022, 9 août), ¿Por qué es importante la ergonomía en la oficina en casa?.

Un monde du travail en mutation

Un monde du travail en mutation (documentaire)

Nouvelles logiques de marché, mondialisation accrue, changements technologiques, nouvelles pratiques managériales, transformations des attitudes de la main d’œuvre à l’égard du travail. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Les transformations contemporaines du rapport au travail (colloque)

Les conditions économiques et culturelles qui façonnent les attitudes et les comportements au travail, de même que la place et le sens que revêt celui-ci chez les individus, se sont profondément transformées. PRODUCTION Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Plateformes de partage, la dimension cachée du travail

Les plateformes s’affichent comme des intermédiaires neutres, mais elles dissimulent des structures hiérarchiques et des liens de subordination plus importants qu’on ne pourrait le croire. PRODUCTION INTERVENANT Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Libéralisation des services

Le secteur des services n’échappe pas à la libéralisation, où l’évaluation du rendement s’infiltre de plus en plus. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Libéralisation des marchés

Flexibilité, évaluation du rendement, performance, nouveaux types de relation au travail. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Nouvelles pratiques managériales

De nouvelles pratiques managériales se sont implantées qui renvoient vers l’employé sa propre autonomisation. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Quand la soupe devient une expérience d’achat

Les produits Leader Price vendus au Québec , à moins que le consommateur québécois ne le sache pas, sont des produits d’entrée de gamme en France. D’ailleurs, Leader Price se positionne comme « une enseigne où l’on peut concilier prix bas et plaisir » et c’est « le choix malin pour vivre bien ». Ce qui devrait particulièrement retenir notre attention, en tant que consommateur, c’est le discours proposé par cette société autour de ses propres produits.

comment Transformer un produit bas de gamme en produit haut de gamme

Les produits Leader Price vendus au Québec , à moins que le consommateur québécois ne le sache pas, sont des produits d’entrée de gamme en France. D’ailleurs, Leader Price se positionne comme « une enseigne où l’on peut concilier prix bas et plaisir » et c’est « le choix malin pour vivre bien ». Ce qui devrait particulièrement retenir notre attention, en tant que consommateur, c’est le discours proposé par cette société autour de ses propres produits. J’ai souligné en italique les éléments les plus importants à retenir :

  • Chez Leader Price, nous luttons chaque jour pour vous offrir des prix bas et des produits de qualité rigoureusement sélectionnés.
  • Chez Leader Price, nous proposons chaque jour des viandes, des fruits et des légumes de saison, en privilégiant l’origine France et à prix Leader Price.
  • Leader Price, c’est près de 600 magasins à taille humaine, partout en France, où l’on peut avoir des prix bas à côté de chez soi.
  • Chez Leader Price, offrir une expérience d’achat agréable, c’est une question de respect. C’est pour cela que nous travaillons à la rénovation de nos magasins et de nos emballages.
  • Chez Leader Price, les prix bas sont permanents et les produits sélectionnés, pour vous offrir un choix juste répondant aux besoins du quotidien, sans superflu.

D’une part, il y a cette idée que cette entreprise lutte pour le plus grand bien de ses consommateurs. Pour rappel, une entreprise est là pour faire des profits et non pour faire la charité. De plus, la lutte dont il est ici question est avant tout soumise aux conditions générales du marché des denrées alimentaires sur lequel Leader Price a peu d’emprise : elle ne fait qu’acheter en grandes quantités des produits offerts par des producteurs ou de grands distributeurs dont le prix est déjà fixé. Conséquemment, vendre à bas prix oblige à mentionner que même si le prix est bas, il est tout de même de qualité. Ce discours entre dans la même logique que celui des politiciens qui disent couper dans les services dédiés aux citoyens pour mieux les servir : faire plus avec moins. D’autre part, Leader Price joue sur cinq tableaux au niveau de l’affect : l’origine de la provenance des produits, jouer sur la fibre nationale ; des commerces à taille humaine, jouer sur l’entre soi ; des commerces tout près de chez soi, jouer sur le concept de commerce de proximité ; des produits répondant aux besoins du quotidien, jouer sur la consommation responsable ; offrir une expérience d’achat — Saint Graal des commerçants —, jouer sur l’immersion émotive.

© Pierre Fraser (PhD), texte et photos, 2020

Tous les articles de cette série

Le télétravail et ses repères visuels

Si l’ergonomie fait référence à la manière dont le bureau à domicile et le mobilier à installer sont conçus afin de garantir la santé physique et mentale des personnes, réduisant ainsi les risques et les blessures possibles, il va sans dire que la première étape…

L’huile d’olive comme produit de distinction sociale ?

L’huile d’olive, par seule mise en marché à travers son marketing, signale l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions. Si le statut social peut influencer l’alimentation de différentes façons, le niveau de revenu et l’accès aux ressources financières peuvent également affecter les choix alimentaires des individus.…

La faim a-t-elle un visage ?

Au Québec, en date de novembre 2022, 1 citoyen sur 4 éprouvait non seulement de la difficulté à s’alimenter sainement, mais éprouvait surtout de la difficulté à acheter des aliments afin de combler un besoin aussi élémentaire que celui de se nourrir. La vidéo de…

Franges visuelles

Définition Une frange visuelle prend généralement la forme d’un terrain en friche ou d’un bâtiment à l’abandon. Ses limites sont à la fois précises et imprécises. Précises, dans le sens où elles sont géographiquement circonscrites. Imprécises, dans le sens où elles ne sont pas tout…

Réseaux visuels

Les réseaux visuels constituent des réseaux sociaux. Définition 1. Un réseau visuel est constitué de repères visuels propres à certains réseaux sociaux (le social et le sociétal, l’intangible) permettant leur identification et leur localisation dans le but de déclencher une action ou une opportunité d’actions. 2. Un…

L’huile d’olive comme produit de distinction sociale ?

L’huile d’olive, par seule mise en marché à travers son marketing, signale l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions. Si le statut social peut influencer l’alimentation de différentes façons, le niveau de revenu et l’accès aux ressources financières peuvent également affecter les choix alimentaires des individus.

Photo : Ron Lach

L’huile d’olive a longtemps été considérée comme un aliment de qualité supérieure et a été associée la plupart du temps à la distinction sociale et à la richesse. En Grèce antique, par exemple, l’huile d’olive était considérée comme un symbole de prospérité et était utilisée pour l’alimentation, l’éclairage et l’hygiène personnelle. Au fil des siècles, l’huile d’olive a continué d’être associée à la distinction sociale et à la richesse dans de nombreux pays. En Italie, par exemple, l’huile d’olive est encore et toujours considérée comme un élément essentiel de la cuisine italienne et souvent utilisée pour marquer l’occasion de festivités ou de réunions familiales importantes.

De nos jours, l’huile d’olive est également associée à une alimentation saine et à des bienfaits pour la santé. Cette association peut contribuer à renforcer l’association de l’huile d’olive avec la distinction sociale et la richesse, car les individus qui peuvent se permettre de manger sainement sont souvent perçus comme ayant un niveau de vie plus élevé. D’ailleurs, les entreprises qui produisent, distribuent et vendent de l’huile d’olive, jouent d’ingéniosité en matière de marketing sur le plan des repères visuels afin de rejoindre une clientèle prête à dépenser des sommes conséquentes pour bien s’alimenter. En ce sens, on retrouvera là les 4 fonctions d’un repère visuel sans le marketing de l’huile d’olive :

  • signaler en vue de l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions ;
  • localiser d’autres repères qui doivent déclencher une action (le repère est élément de réseau) ;
  • confirmer qu’un individu adopte les comportements appropriés ;
  • combler certaines attentes.

On peut donc dire que l’huile d’olive, par seule mise en marché à travers son marketing, signale l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions. Si le statut social peut influencer l’alimentation de différentes façons, le niveau de revenu et l’accès aux ressources financières peuvent également affecter les choix alimentaires des individus. Étant donné que les personnes ayant un niveau de revenu plus élevé ont souvent accès à une plus grande variété d’aliments de qualité supérieure, elles peuvent être plus enclines à acheter des aliments sains et biologiques, d’où les repères visuels de l’huile d’olive ciblant le haut de gamme. Les personnes ayant un niveau de revenu plus faible, pour leur part, peuvent être contraints de faire des choix alimentaires moins coûteux et moins sains, d’où l’achat éventuel d’huiles d’olive de peu de qualité dans les grandes surfaces afin de s’inscrire dans la mouvance de la saine alimentation.

Photo : Tatiana Novoselova

Statut social de l’huile d’olive

Le statut social peut également influencer les attitudes et les comportements en matière d’alimentation, notamment en ce qui concerne les normes de consommation et les préférences alimentaires. Par exemple, certaines personnes peuvent être soumises à des pressions sociales pour suivre des régimes alimentaires spécifiques ou pour éviter certains aliments en raison de leur statut social.

En outre, le statut social peut influencer l’accès aux moyens de production et de distribution alimentaire, d’où l’idée que les personnes ayant un statut social élevé peuvent avoir accès à des moyens de production alimentaire de qualité supérieure, tels que des fermes biologiques ou des producteurs locaux, alors que les personnes ayant un statut social plus faible peuvent être limitées dans leur accès à ces sources d’aliments. Globalement, l’huile d’olive a, de tous temps, été associée à la distinction sociale et à la richesse dans de nombreux contextes culturels et historiques, et cette association est dès lors renforcée par son association avec une alimentation saine et bénéfique pour la santé.

Ici, deux aspects particuliers se dégagent sur le plan social :

  • l’huile d’olive a été associée à la distinction sociale et à la richesse dans de nombreux contextes culturels et historiques, et cette association a été renforcée par son association avec une alimentation saine et bénéfique pour la santé ;
  • le statut social peut influencer l’accès aux moyens de production et de distribution alimentaire.

En somme, les personnes ayant un statut social élevé peuvent avoir accès à des moyens de production alimentaire de qualité supérieure, tels que des fermes biologiques ou des producteurs locaux, alors que les personnes ayant un statut social plus faible peuvent être limitées dans leur accès à ces sources d’aliments.

Photo : OLiV

Les repères visuels de l’huile d’olive permettent de cibler cette clientèle à la recherche de sophistication et de distinction sociale en utilisant des canaux de marketing de luxe, tels que les magazines de mode et de design de luxe, les événements de dégustation haut de gamme et les programmes de fidélisation exclusifs. En misant sur l’histoire et la tradition de l’huile d’olive, tout en mettant en avant sa production dans des régions reconnues pour leur qualité, comme la Toscane en Italie ou l’Andalousie en Espagne, il devient alors possible de créer ce que l’on pourrait appeler un réseau visuel de l’huile d’olive.

Ce réseau visuel, constitué de repères visuels caractéristiques à l’huile d’olive haut de gamme, forme des parcours sociaux pour des classes sociales ou communautés plus favorisées, et détermine d’autant certaines attitudes et comportements, c’est-à-dire les lieux où se concentre les dimensions symboliques perceptibles en matière d’alimentation.

Statut visuel de l’huile d’olive versus le statut social

L’huile d’olive étant avant tout un produit de distinction sociale, il est donc important de travailler sur l’image de marque de celle-ci afin de créer ce que les publicitaires nomment une identité forte pour la marque. Cela, il va sans dire, inclut la création d’un packaging attrayant et la mise en place de campagnes publicitaires ciblées aux allures léchées et sobres tout en étant attrayantes en se fondant sur les critères suivants : qualités de luxe de l’huile d’olive, sa rareté, sa qualité supérieure, sa méthode de production artisanale, ses avantages pour la santé (propriétés anti-oxydantes, teneur en acides gras mono-insaturés bénéfiques pour le cœur).

Par exemple, cette publicité de l’entreprise OLIV répond aux critères ci-dessus : « L’équipe OLiV vous offre l’expérience « Wow » tout en vous aidant à manger plus sainement et plus naturellement. Notre gamme complète d’huile d’olive extra vierge (EVOO) et de véritable vinaigre balsamique sont des produits entièrement naturels qui le rendent plus pratique pour la cuisine de tous les jours. En utilisant nos formules exclusives pour aromatiser nos produits avec des huiles essentielles naturelles, vous pouvez naturellement aromatiser vos aliments avec tout, des saveurs à base de plantes, aux intrigues épicées ou fruitées et légères1. »

En somme, dans un monde où l’image prédomine, le travail sur les repères visuels d’un produit devient incontournable, peu importe la classe sociale à laquelle il est destiné. On ne s’adresse pas, visuellement parlant, de la même façon aux différentes classes sociales.

© Pierre Fraser (PhD), sociologue – 2022

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Quand la soupe devient une expérience d’achat

Les produits Leader Price vendus au Québec , à moins que le consommateur québécois ne le sache pas, sont des produits d’entrée de gamme en France. D’ailleurs, Leader Price se positionne comme « une enseigne où l’on peut concilier prix bas et plaisir » et c’est « le…

La jeune femme chic

Stratification sociale Le statut socio-économique d’une personne se reflète non seulement dans des indices subtils tels que certains mouvements du corps lorsqu’elle est en relation avec d’autres personnes, mais aussi dans le fait que les inégalités sociales sont reproduites par le corps d’où l’idée que…

Sur un déambulateur

Mise en récit : ces deux photos doivent conduire à une mise en récit qui intègre les deux étapes précédentes, c’est-à-dire que ces deux photos, d’une part, ont délibérément été choisies pour raconter quelque chose de cohérent — cohérence qu’il s’agit de restituer —, et…

Parce que la pauvreté existe…

Il existe deux univers en société, celui que tout le monde voit au quotidien et celui que personne ne veut voir… Production : Photo|SociétéRéalisation : Pierre Fraser Intervenants Inégalités sociales [vidéos] Exclusion et stigmatisation

Déplacer la pauvreté

L’embourgeoisement d’un quartier a ceci de particulier qu’elle a tendance à déplacer la pauvreté. Production : Photo|SociétéRéalisation : Pierre Fraser Intervenant Inégalités sociales [vidéos] Exclusion et stigmatisation

La faim a-t-elle un visage ?

Au Québec, en date de novembre 2022, 1 citoyen sur 4 éprouvait non seulement de la difficulté à s’alimenter sainement, mais éprouvait surtout de la difficulté à acheter des aliments afin de combler un besoin aussi élémentaire que celui de se nourrir. La vidéo de gauche est particulièrement explicite à ce sujet où le directeur général de la Bouchée Généreuse (Québec) démontre qu’en l’espace de quelques années seulement le nombre des bénéficiaires a plus que doublé.

Se nourrir est un besoin de base

Synopsis

Au Québec, en date de novembre 2022, 1 citoyen sur 4 éprouvait non seulement de la difficulté à s’alimenter sainement, mais éprouvait surtout de la difficulté à acheter des aliments afin de combler un besoin aussi élémentaire que celui de se nourrir. Cette vidéo est particulièrement explicite à ce sujet où le directeur général de la Bouchée Généreuse (Québec) démontre qu’en l’espace de quelques années seulement le nombre des bénéficiaires a plus que doublé. En fait, la faim est un problème majeur au Canada, où l’on estime que 4 millions de personnes, dont 1,15 million d’enfants, ont du mal à mettre de la nourriture sur la table. Concrètement, la pauvreté et l’exclusion sont deux des problèmes les plus urgents de notre époque, et en cette matière, le travail qui reste à faire relève presque du mythe de Sisyphe.

© Pierre Fraser (PhD), sociologue, 2022

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Précarité au féminin

Son corps pour le paiement du loyer, sa propre précarité comme moyen de pression. Production : Photo|SociétéRéalisation : Pierre Fraser Intervenante Inégalités sociales [vidéos] Exclusion et stigmatisation

La faim justifie les moyens

La faim, dans une société prospère comme le Québec, existe et exige une logistique sophistiquée de cueillette alimentaire auprès des épiceries. Production : Photo|SociétéRéalisation : Pierre Fraser Intervenante Inégalités sociales [vidéos] Exclusion et stigmatisation

J’ai faim…

Les banques alimentaires sont l’un des secteurs économiques les plus en croissance au Québec. Production : Photo|SociétéRéalisation : Pierre Fraser Intervenants Inégalités sociales [vidéos] Exclusion et stigmatisation

Marqueurs d’inégalités sociales

La défavorisation a ses propres repères visuels qui marquent les inégalités sociales. Production : Photo|SociétéRéalisation : Pierre Fraser Intervenant Inégalités sociales [vidéos] Exclusion et stigmatisation

La haine du pauvre

Stigmatiser les gens les plus défavorisés est aussi une façon de se situer soi-même sur l’échelle sociale Production : Photo|SociétéRéalisation : Pierre Fraser Participants Inégalités sociales [vidéos] Exclusion et stigmatisation

Franges visuelles

Définition

Une frange visuelle prend généralement la forme d’un terrain en friche ou d’un bâtiment à l’abandon. Ses limites sont à la fois précises et imprécises. Précises, dans le sens où elles sont géographiquement circonscrites. Imprécises, dans le sens où elles ne sont pas tout à fait socialement circonscrites, c’est-à-dire dont la fonction sociale n’est pas clairement déterminée.

Il existe, en milieu urbain, des zones intermédiaires de type frange. Le bâtiment de la première photo de gauche, situé à l’intersection des rues Saint-Joseph et Monseigneur-Gauvreau dans la portion revitalisée du quartier Saint-Roch de Québec, d’ancien commerce de proximité, est devenu par la suite une piquerie, a été squatté par des SDF, a été placardé par les autorités municipales, a été interdit d’utilisation, et est aujourd’hui un bâtiment tout à fait en phase avec la revitalisation du quartier.

Autre exemple, la seconde et la troisième photos de gauche sont intéressantes à plus d’un égard, car elles témoignent de la transformation d’un local commercial en frange visuelle en l’espace d’à peine 8 mois. Situé sur la rue St-Joseph dans le quartier St-Roch (Québec), encastré entre un restaurant (à gauche) et un centre communautaire (à droite), il est possible de constater, sur la première photo, que le commerce est sur le point de fermer ses portes, car il y a une affiche indiquant « Vente fin de bail » (le commerce a définitivement fermé ses portes le 30 juin 2014).

Sur la troisième photo, il est possible de constater que la façade du même local a subi une métamorphose impressionnante : de bâtiment à la fonction sociale précise, il est devenu un bâtiment à la fonction sociale imprécise. L’espace restreint de la façade de ce bâtiment est clairement devenu une frange. À quelques reprises, j’ai vu là des hommes uriner, d’autres fumer des joints, d’autres faire des transactions illicites, et en ce sens, il est pertinent de souligner que l’état de délabrement d’un espace donné incite aux incivilités (théorie de la vitre brisée) et à certaines formes de criminalité.

Comme le souligne le chercheur Georges Vignaux, on pourrait baptiser aussi ces espaces : « les marges » au sens de l’abandon, du sans destination, du non affecté, de la « zone », « à ban » comme on disait autrefois pour désigner l’espace des bannis et qui a donné « la banlieue ». Cela rejoint la notion de frange visuelle.

© Texte : Georges Vignaux, Pierre Fraser, 2018
© Photos : Pierre Fraser, 2016

Réseaux visuels

Les réseaux visuels constituent des réseaux sociaux.

Définition

1. Un réseau visuel est constitué de repères visuels propres à certains réseaux sociaux (le social et le sociétal, l’intangible) permettant leur identification et leur localisation dans le but de déclencher une action ou une opportunité d’actions.
2. Un réseau visuel forme des parcours sociaux pour certaines classes sociales ou communautés, et détermine d’autant certaines attitudes et comportements (les lieux où se concentre les dimensions symboliques perceptibles).

Un réseau visuel est articulé autour de trois caractéristiques : morphologique, fonctionnel, cognitif.

  • le morphologique avec ses rapports au territoire, les lieux où se concentre l’exclusion sociale, les dimensions physiques perceptibles, l’attitude des gens (à Paris, l’ouest riche versus l’est pauvre ; à Québec, la haute ville riche versus la basse ville défavorisée) ;
  • le fonctionnel, c’est-à-dire comment les réseaux travaillent le territoire et réciproquement, comment le territoire sollicite un ou des réseaux, voire un réseau hypothétique (à Paris, les Roms venus de Roumanie se terrent sous les bretelles d’autoroute du nord dans de vastes campements ignorés et se répandent dans la ville en réseau structuré pour le partage des contenus de poubelles ; à Québec, les défavorisés sillonnent surtout les rues du quartier St-Roch où plusieurs organismes communautaires qui leur sont dédiés y ont pignon sur rue) ;
  • le cognitif, c’est-à-dire les ancrages (repères) dans la ville, les systèmes de repérage pour le déplacement (parcours), schémas mentaux pour le parcours à pied, en voiture, etc., et qui constituent effectivement des réseaux d’appropriation locale ou globale de l’espace (territoire).

Des gens défavorisés et favorisés qui se côtoient représentent aussi la fonctionnalité d’un quartier.

L’aspect morphologique

Il est nécessaire de repérer le morphologique, c’est-à-dire comprendre comment se répartit la stratification sociale dans un milieu donné. Il importe aussi de savoir qu’un quartier ne livre pas de facto ce qui le caractérise. Il faut y passer plusieurs heures), le photographier sous tous les angles possibles afin de bien le saisir. Par la suite, il faut classer et répertorier les photographies, tenter de trouver à travers celles-ci ce qui montre le plus adéquatement la morphologie du quartier. Une fois engagé dans ce processus, il faut voir comment cette répartition est globalement effectuée, c’est-à-dire les quartiers ou arrondissements. Du moment qu’un quartier ou arrondissement est identifié, il faut :

  • s’informer sur sa structure économique et démographique (données statistiques) afin d’obtenir un premier portrait d’ensemble (rapports aux territoires) ;
  • parcourir le quartier, armé de sa caméra, et le photographier afin de savoir où se concentre l’exclusion sociale ;
  • identifier les dimensions physiques perceptibles et les photographier (architecture, circulation, types de commerces présents, services communautaires, trottoirs, pistes cyclables, éclairage, parcs urbains, mobilier urbain, graffitis), tout ce qui est susceptible de rendre compte des caractéristiques physiques d’un quartier ;
  • repérer les personnes qui habitent le quartier et les photographier (postures du corps, vêtements).

Montrer comment le territoire sollicite un ou des réseaux d’un territoire donné.

L’aspect fonctionnel

Montrer l’aspect fonctionnel d’un quartier — réseaux visuels qui travaillent le territoire et réciproquement — c’est aussi montrer comment le territoire sollicite un ou des réseaux d’un territoire donné. Réussir à montrer l’aspect fonctionnel par l’image est à la fois une démarche simple et complexe. Simple, car il suffit de repérer dans l’environnement les types de commerces ou services communautaires qui y sont présents. Complexe, dans le sens où photographier un commerce ne montre pas forcément comment celui-ci travaille le territoire et la relation que les habitants entretiennent avec lui.

Par exemple, si je photographie une épicerie, que je suis dans un quartier défavorisé et que je ne photographie que le commerce, je passe à côté de l’aspect fonctionnel de celui-ci. Autrement dit, il faut que je puisse photographier les gens qui entrent ou sortent de ce commerce, ce qui rendra effectivement compte de sa fonctionnalité. À ce titre, la photo de gauche est intéressante à plus d’un égard. Premièrement, elle dépeint un quartier où l’on retrouve des terrasses sur les trottoirs (quartier St-Roch de Québec en plein processus de revitalisation). Deuxièmement, si on prête le moindrement attention à ce qui compose cette photo, on y repère un homme dont l’attitude et les vêtements ne semblent pas concorder avec ceux des autres personnes présentes. Troisièmement, cette photo révèle aussi la mixité sociale, et qui dit mixité sociale signale aussi quartier central.

La spécificité de la dimension cognitive d’un réseau visuel se révèle en fonction du quartier.

L’aspect cognitif

Comme le montre la photo de gauche, prise dans le quartier Saint-Roch de Québec, chaque repère visuel fonctionne comme des ancrages cognitifs dédiés aux touristes, comme système de repérage pour orienter les déplacements (parcours), dessinant ainsi des schémas mentaux pour le parcours à pied, à vélo, en voiture, etc., et qui constituent effectivement des réseaux d’appropriation locale ou globale de l’espace (territoire). En fait, monter le cognitif n’est pas la tâche la plus simple, car il faut passer d’innombrables heures dans un quartier pour identifier ce qui fait repère visuel dans celui-ci pour les gens qui y habitent comme pour les gens qui y sont de passage.

Par exemple, les graffitis participent au repérage, tout comme les bâtiments démolis transformés en stationnements de surface. Par exemple, lorsque je me déplace dans les quartiers Saint-Roch, Saint-Sauveur et Saint-Jean-Baptiste de la ville Québec, mes principaux repères visuels sont les graffitis : ils m’indiquent des parcours de la défavorisation, car plus les graffitis sont présents sur les bâtiments ou les infrastructures, plus la défavorisation est présente, plus les bâtiments sont sujets au délabrement, plus les gens ont des postures qui manifestent la défavorisation. Tous ces parcours construits par les graffitis forment un réseau où s’inscrit la défavorisation.

En somme, les graffitis, dans le cas de figure présent, agissent comme des schémas mentaux qui me permettent de parcourir à pied le quartier. Tous ces graffitis forment un réseau d’appropriation locale et globale de ce territoire. En revanche, dans les quartiers centraux plus huppés ou en voie d’embourgeoisement, les graffitis fonctionnent autrement que par la simple défavorisation et ce sont ce sont d’autres repères visuels qui fonctionnent et qui en relèvent l’aspect cognitif.

© Georges Vignaux, Pierre Fraser, 2018

La jeune femme chic

Stratification sociale

L’homme aux vêtements usés et élimés (© Pierre Fraser, 2017)
La jeune femme chic (© Pierre Fraser, 2016)

Le statut socio-économique d’une personne se reflète non seulement dans des indices subtils tels que certains mouvements du corps lorsqu’elle est en relation avec d’autres personnes, mais aussi dans le fait que les inégalités sociales sont reproduites par le corps d’où l’idée que « le corps social fait du corps individuel la courroie de réception, de transmission et de transformation de son ordre symbolique [où] le corps individuel est toujours engendré par l’information à partir de laquelle le corps est socialement construit et reconnu. C’est cette information qui soutient, de façon synchronique, une vision particulière du corps social et du corps individuel1. »

Référence de cet article

[1] St-Jean, M. (2010), Métamorphose de la représentation sociale du corps dans la société occidentale contemporaine, Thèse de doctorat, UQAM, URL: https://archipel.uqam.ca/3756/1/D1938.pdf.

Citer cet article
Vignaux, G. (2021). « La restitution de résultats ». Revue de Sociologie Visuelle : Territoires visuels, vol. 1, n°1 , p. 19-22. ISBN : 978-2-923690-6-2.

La première photo, L’homme aux vêtements usés et élimés, se veut une amorce pour un article traitant des attitudes corporelles et du port de certains vêtements liées à l’appartenance à une classe sociale donnée. Si on part de l’idée que les attitudes corporelles se construisent, dans les quartiers défavorisés, à partir de corps fatigués, de vêtements usés et élimés, la démarche lente et les itinéraires discrets, en contraste avec l’environnement global mobile, c’est peut-être qu’elles traduisent une certaine inertie, un certain abandon au sort. À l’inverse, les corps jeunes et énergiques, vêtus à la dernière mode et à la démarche affirmée, sont en contraste, dans les sociétés occidentales, avec une large part de la population vieillissante.

La seconde photo, La jeune femme chic, poursuit cette analyse des attitudes corporelles. En l’examinant attentivement, on constate, à l’arrière- plan, un homme adossé à un mur qui est aussi un habitué de la banque alimentaire du quartier et des services de soutien aux personnes démunies. À remarquer aussi le contraste de ses vêtements par rapport à ceux de la jeune femme qui passe tout juste devant lui, tout comme l’attitude corporelle de la jeune femme par rapport à celle de l’homme.

Concrètement, la géométrie sociale se construit toujours à partir de contrastes, de là la nécessité de tout un travail de typification des attitudes corporelles qui reste encore à faire. En ce sens, ces deux photos traduisent deux phénomènes : (i) la façon de se vêtir de certaines personnes démunies et la posture corporelle, parfois prostrée, des gens défavorisés — certes, tous les gens défavorisés n’ont pas une posture corporelle prostrée ni ne porte tous des vêtements défraîchis — ; (ii) la façon dont les attitudes corporelles des uns et des autres entrent en contraste, tracent des parcours à la fois visuels et sociaux, délimitent un territoire visuel et social où se vit la mixité entre gens nantis et démunis.

Faut-il ici souligner que l’allure même d’un vêtement signale l’appartenance à un groupe social ou à une classe sociale donnée. En fait, et c’est là où les choses deviennent intéressantes, c’est que si on s’y mettait et qu’on analysait les vêtements que porte la jeune femme, ainsi que le type de valise qu’elle tire, la posture de son corps et la position de sa tête, ceux-ci pourraient nous en dire beaucoup sur sa position personnelle sur le gradient social, tout comme si on procédait à la même analyse pour l’homme à l’arrière-plan ; il y a ici toute une sociologie des postures du corps et de la mode à convoquer.

En fait, en partant de plusieurs photos, il devient dès lors possible de restituer de véritables résultats en autant que l’on fasse une fidèle description de ce qui constitue la représentation de chacune des photos, que l’on en identifie correctement les contextes respectifs, et que l’on puisse parvenir à une interprétation somme toute relativement fiable.