BigMac défavorisé laissé à l’abandon

Dans cet article, l’équipe de Photo|Société débute l’exploration d’un tout nouveau champ qui s’ouvre désormais avec la sémiologie générative.

Lorsqu’une œuvre d’art provoque une réflexion, considère-t-on pour autant qu’elle a atteint son objectif ? Permet-elle d’élargir la compréhension et la perception du monde ? Peut-elle conduire à des discussions et des débats sur des questions d’ordre social, politique, culturel, et parfois même personnel ? Pour répondre à ces questions, le BigMac ici représenté est ce que l’on nomme en sociologie visuelle de l’insolite en contexte, c’est-à-dire une situation où un élément visuel ou une image apparaît comme inhabituel ou surprenant dans un certain contexte social, culturel ou visuel. L’insolite en contexte signale donc une déviance par rapport à la norme dominante. Cette scène pourrait être analysée de manière sémiotique en examinant les signes présents dans le lieu, le moment de la journée, l’éclairage, le contexte et le sujet :

  • le lieu, l’arrière extérieur d’un fast-food, peut être considéré comme un lieu de passage, un lieu de consommation rapide et impersonnelle ;
  • le choix de ce lieu suggère peut-être un désir d’échapper aux regards des autres ou de cacher quelque chose ;
  • le moment de la journée, le soir, peut être interprété comme une période de transition entre la lumière du jour et l’obscurité de la nuit, une période d’incertitude et de changement — cette atmosphère de transition est renforcée par l’éclairage feutré, qui crée une ambiance sombre et mystérieuse ;
  • le contexte, composé d’une poubelle, d’une souris, de déchets sur le sol et d’un BigMac dégoulinant de fromage posé sur le sol et adossé à la poubelle, peut être interprété comme une critique de la société de consommation et de l’impact de la production de masse sur l’environnement ;
  • les déchets et la poubelle suggèrent une société qui produit trop de déchets et ne se préoccupe pas de leur traitement ou de leur recyclage ;
  • le rat est souvent associé à l’insalubrité, la cupidité, la tromperie, la prédation et l’individualisme, d’où l’idée d’un capitalisme sauvage prêt à tout ;
  • le BigMac dégoulinant de fromage, abandonné sur le sol, peut être interprété comme un signe de la surabondance de la nourriture et de la culture de la consommation rapide ;
  • ce BigMac, tout comme un sans-abri, est laissé à lui-même dans un milieu défavorisé inquiétant où rôdent les rats.

On peut vraisemblablement avancé l’idée que cette scène peut être comprise comme une critique de la société de consommation moderne, de son impact sur l’environnement et de la surabondance des produits de consommation rapide, tout en reflétant une ambiance sombre et mystérieuse créée par l’éclairage feutré et le moment de la journée choisi. Cependant, là où les choses deviennent intéressantes, c’est le comment de la production de ces images. Je m’explique. J’ai à la fois une formation en linguistique (master) et en sociologie (doctorat). En linguistique, je me suis particulièrement intéressé à la sémiologie, et en sociologie mon intérêt a surtout porté sur la sociologie visuelle. En somme, une combinaison idéale pour comprendre la nature même de notre environnement visuel.

La sémiologie est cette discipline qui étudie les signes, leur production, leur interprétation et leur utilisation dans la communication humaine. Elle s’intéresse à la manière dont les signes, tels que les mots, les images, les gestes, les sons et les objets, sont utilisés pour transmettre des informations et des significations dans différentes cultures et contextes. De plus, et c’est là que s’effectue mon ancrage, car étant donné que la sémiologie est souvent associée à la linguistique, puisqu’elle considère les mots comme des signes linguistiques qui ont une signification qui peut s’appliquer à d’autres domaines de la communication (publicité, art, culture populaire, mode, architecture, la musique, etc.), je ne peux faire l’économie de cette dimension.

L’émergence de l’intelligence artificielle m’a particulièrement interpellé à ce sujet, surtout du moment qu’est devenu possible la capacité de générer des images à partir de mots. De là, j’ai élaboré des contextes sémiotiques complexes que j’ai par la suite fourni à un générateur d’images, d’où les clichés ici obtenus. Donc, si on part du principe que la sémiologie cherche à comprendre comment les signes sont produits et interprétés, comment ils acquièrent des significations, comment ils sont utilisés pour communiquer des messages et comment ils peuvent être manipulés pour influencer le comportement et les attitudes des individus, la sémiologie générative ouvre ici un tout nouveau champ d’explorations.

La sémiologie générative est cette approche théorique développée dans les années 1960 par Algirdas Julien Greimas et ses collaborateurs. Elle s’intéresse (i) aux structures profondes de la signification, c’est-à-dire aux schémas qui organisent les significations dans les textes et les discours et (ii) aux relations sémantiques entre les signes, c’est-à-dire aux relations qui existent entre les significations des signes et les différentes catégories sémantiques.

De là, mon hypothèse est la suivante : la sémiologie générative, en s’appuyant sur l’imagerie générative, permet de générer des images à partir de schémas textuels sémiotiques qui organisent les significations d’un contexte visuel inexistant fabriqué par une intelligence artificielle. Il va sans dire que ce n’est pour le moment qu’une hypothèse et que rien ne la valide, la nuance ou l’infirme.

La question qu’il faut maintenant se poser est la suivante : s’il est possible de générer des images à partir de critères sémiotiques, cela veut-il pour autant dire qu’il est possible de mettre en évidence les structures profondes de leur signification ?

Le débat est à la fois ouvert sur la sémiologie générative et sur la notion de droits d’auteurs en matière d’imagerie générative !

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023

Esthétiser la pauvreté en photographie

La question de savoir si l’on peut esthétiser la pauvreté à travers la photographie est complexe et suscite des débats parmi les professionnels de l’image et les experts en éthique.

La question de savoir si l’on peut esthétiser la pauvreté à travers la photographie est complexe et suscite bien des débats parmi les professionnels de l’image et les experts en éthique.

La pratique de la sociologie visuelle consiste essentiellement à utiliser la photographie pour documenter et analyser des phénomènes sociaux, tels que les inégalités sociales, la diversité culturelle, les relations de pouvoir, etc. Dans cette pratique, la dimension esthétique de l’image peut sembler secondaire par rapport à sa fonction documentaire ou informative, mais elle peut également jouer un rôle important, notamment pour communiquer des messages, susciter des émotions ou des réactions, ou encore pour inciter le public à s’engager davantage sur certaines questions sociales. Ainsi en va-t-il de la représentation esthétique des inégalités sociales et particulièrement de la pauvreté, car elle crée une ambiance ou une atmosphère particulière, suscitant par là même une émotion ou une réaction émotionnelle, qui peut alors incité à réfléchir ou à agir sur la question sociale en question.

Peut-on dès lors affirmer que les trois photos de gauche (quartier Saint-Roch de Québec, 2022) contribuent réellement à montrer les inégalités sociales et à faire prendre conscience que, même dans un quartier en processus d’embourgeoisement, la pauvreté est et demeure un phénomène réel et persistant ?

D’une part, certains peuvent soutenir que la photographie esthétique peut aider à sensibiliser le public aux conditions difficiles dans lesquelles vivent les personnes défavorisées, et que certains types d’images puissent inspirer une action positive pour aider à améliorer leur situation. Dans ce sens, la photographie esthétique peut également être un moyen efficace de communiquer des messages porteurs afin de promouvoir certains changements de nature sociale.

D’autre part, certains critiques soutiennent que la représentation esthétique de la pauvreté peut être problématique, voire abusive et exploitante. Ces derniers affirment que la mise en scène de la pauvreté dans une optique artistique peut donner une fausse impression de la réalité et encourager à voir la pauvreté comme quelque chose empreint d’un certain esthétisme romantique ou pittoresque. De plus, l’utilisation de ces images, sans le consentement ou la participation active des sujets photographiés, peut perpétuer les stéréotypes et les préjugés en réduisant les personnes pauvres à des objets de curiosité ou de pitié. Cet aspect n’est ni banal ni trivial. De là, il faut se poser quelques questions :

  • Ces photographies sont-elles utiles dans un monde visuel saturé d’images et d’informations ?
  • Est-il possible que la surexposition de ces images ait fini par les rendre moins efficaces ou même contre-productives, en rendant le public moins réceptif à leur message ou en les faisant apparaître comme des stéréotypes ?
  • Ces photographies représentant la pauvreté ont-elles un impact important, en particulier dans les contextes où les inégalités sociales restent élevées ou où la défavorisation est un enjeu majeur ?

La réponse à ces questions n’est pas simple et soulève bien d’autres questions quant à la représentation esthétique de la pauvreté :

  • Comment respecter les droits et la dignité des sujets photographiés tout en évitant de les exploiter pour un gain personnel ou artistique ?
  • Comment être conscients des effets potentiellement négatifs de ce type de photographie sur les personnes et les communautés qu’ils représentent ?
  • Quelles mesures prendre pour en minimiser les effets ?
  • Comment prendre en compte la dimension éthique pour représenter de manière authentique et respectueuse la réalité de la pauvreté ?

Malgré toutes les réponses ou constats que l’on pourrait obtenir en tentant de répondre à ces questions, un autre phénomène émerge qui en soulève plusieurs autres, du moment où les photographies sont générées par l’IA, ce qui est ici le cas (photos générées à partir de paramètres liés au quartier Saint-Roch lors de l’été 2022). De là, quels critères s’imposent alors pour traiter de l’esthétisation de la pauvreté ?

Il s’agit là d’un dossier à suivre, car l’IA doit-elle être exclue de la pratique de la sociologie visuelle ou intégrée en partie à celle-ci ?

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023 | Photos générées par Dall-E.

Réseaux visuels

Les réseaux visuels constituent des réseaux sociaux.

Définition

1. Un réseau visuel est constitué de repères visuels propres à certains réseaux sociaux (le social et le sociétal, l’intangible) permettant leur identification et leur localisation dans le but de déclencher une action ou une opportunité d’actions.
2. Un réseau visuel forme des parcours sociaux pour certaines classes sociales ou communautés, et détermine d’autant certaines attitudes et comportements (les lieux où se concentre les dimensions symboliques perceptibles).

Un réseau visuel est articulé autour de trois caractéristiques : morphologique, fonctionnel, cognitif.

  • le morphologique avec ses rapports au territoire, les lieux où se concentre l’exclusion sociale, les dimensions physiques perceptibles, l’attitude des gens (à Paris, l’ouest riche versus l’est pauvre ; à Québec, la haute ville riche versus la basse ville défavorisée) ;
  • le fonctionnel, c’est-à-dire comment les réseaux travaillent le territoire et réciproquement, comment le territoire sollicite un ou des réseaux, voire un réseau hypothétique (à Paris, les Roms venus de Roumanie se terrent sous les bretelles d’autoroute du nord dans de vastes campements ignorés et se répandent dans la ville en réseau structuré pour le partage des contenus de poubelles ; à Québec, les défavorisés sillonnent surtout les rues du quartier St-Roch où plusieurs organismes communautaires qui leur sont dédiés y ont pignon sur rue) ;
  • le cognitif, c’est-à-dire les ancrages (repères) dans la ville, les systèmes de repérage pour le déplacement (parcours), schémas mentaux pour le parcours à pied, en voiture, etc., et qui constituent effectivement des réseaux d’appropriation locale ou globale de l’espace (territoire).

Des gens défavorisés et favorisés qui se côtoient représentent aussi la fonctionnalité d’un quartier.

L’aspect morphologique

Il est nécessaire de repérer le morphologique, c’est-à-dire comprendre comment se répartit la stratification sociale dans un milieu donné. Il importe aussi de savoir qu’un quartier ne livre pas de facto ce qui le caractérise. Il faut y passer plusieurs heures), le photographier sous tous les angles possibles afin de bien le saisir. Par la suite, il faut classer et répertorier les photographies, tenter de trouver à travers celles-ci ce qui montre le plus adéquatement la morphologie du quartier. Une fois engagé dans ce processus, il faut voir comment cette répartition est globalement effectuée, c’est-à-dire les quartiers ou arrondissements. Du moment qu’un quartier ou arrondissement est identifié, il faut :

  • s’informer sur sa structure économique et démographique (données statistiques) afin d’obtenir un premier portrait d’ensemble (rapports aux territoires) ;
  • parcourir le quartier, armé de sa caméra, et le photographier afin de savoir où se concentre l’exclusion sociale ;
  • identifier les dimensions physiques perceptibles et les photographier (architecture, circulation, types de commerces présents, services communautaires, trottoirs, pistes cyclables, éclairage, parcs urbains, mobilier urbain, graffitis), tout ce qui est susceptible de rendre compte des caractéristiques physiques d’un quartier ;
  • repérer les personnes qui habitent le quartier et les photographier (postures du corps, vêtements).

Montrer comment le territoire sollicite un ou des réseaux d’un territoire donné.

L’aspect fonctionnel

Montrer l’aspect fonctionnel d’un quartier — réseaux visuels qui travaillent le territoire et réciproquement — c’est aussi montrer comment le territoire sollicite un ou des réseaux d’un territoire donné. Réussir à montrer l’aspect fonctionnel par l’image est à la fois une démarche simple et complexe. Simple, car il suffit de repérer dans l’environnement les types de commerces ou services communautaires qui y sont présents. Complexe, dans le sens où photographier un commerce ne montre pas forcément comment celui-ci travaille le territoire et la relation que les habitants entretiennent avec lui.

Par exemple, si je photographie une épicerie, que je suis dans un quartier défavorisé et que je ne photographie que le commerce, je passe à côté de l’aspect fonctionnel de celui-ci. Autrement dit, il faut que je puisse photographier les gens qui entrent ou sortent de ce commerce, ce qui rendra effectivement compte de sa fonctionnalité. À ce titre, la photo de gauche est intéressante à plus d’un égard. Premièrement, elle dépeint un quartier où l’on retrouve des terrasses sur les trottoirs (quartier St-Roch de Québec en plein processus de revitalisation). Deuxièmement, si on prête le moindrement attention à ce qui compose cette photo, on y repère un homme dont l’attitude et les vêtements ne semblent pas concorder avec ceux des autres personnes présentes. Troisièmement, cette photo révèle aussi la mixité sociale, et qui dit mixité sociale signale aussi quartier central.

La spécificité de la dimension cognitive d’un réseau visuel se révèle en fonction du quartier.

L’aspect cognitif

Comme le montre la photo de gauche, prise dans le quartier Saint-Roch de Québec, chaque repère visuel fonctionne comme des ancrages cognitifs dédiés aux touristes, comme système de repérage pour orienter les déplacements (parcours), dessinant ainsi des schémas mentaux pour le parcours à pied, à vélo, en voiture, etc., et qui constituent effectivement des réseaux d’appropriation locale ou globale de l’espace (territoire). En fait, monter le cognitif n’est pas la tâche la plus simple, car il faut passer d’innombrables heures dans un quartier pour identifier ce qui fait repère visuel dans celui-ci pour les gens qui y habitent comme pour les gens qui y sont de passage.

Par exemple, les graffitis participent au repérage, tout comme les bâtiments démolis transformés en stationnements de surface. Par exemple, lorsque je me déplace dans les quartiers Saint-Roch, Saint-Sauveur et Saint-Jean-Baptiste de la ville Québec, mes principaux repères visuels sont les graffitis : ils m’indiquent des parcours de la défavorisation, car plus les graffitis sont présents sur les bâtiments ou les infrastructures, plus la défavorisation est présente, plus les bâtiments sont sujets au délabrement, plus les gens ont des postures qui manifestent la défavorisation. Tous ces parcours construits par les graffitis forment un réseau où s’inscrit la défavorisation.

En somme, les graffitis, dans le cas de figure présent, agissent comme des schémas mentaux qui me permettent de parcourir à pied le quartier. Tous ces graffitis forment un réseau d’appropriation locale et globale de ce territoire. En revanche, dans les quartiers centraux plus huppés ou en voie d’embourgeoisement, les graffitis fonctionnent autrement que par la simple défavorisation et ce sont ce sont d’autres repères visuels qui fonctionnent et qui en relèvent l’aspect cognitif.

© Georges Vignaux, Pierre Fraser, 2018

La jeune femme chic

Stratification sociale

L’homme aux vêtements usés et élimés (© Pierre Fraser, 2017)
La jeune femme chic (© Pierre Fraser, 2016)

Le statut socio-économique d’une personne se reflète non seulement dans des indices subtils tels que certains mouvements du corps lorsqu’elle est en relation avec d’autres personnes, mais aussi dans le fait que les inégalités sociales sont reproduites par le corps d’où l’idée que « le corps social fait du corps individuel la courroie de réception, de transmission et de transformation de son ordre symbolique [où] le corps individuel est toujours engendré par l’information à partir de laquelle le corps est socialement construit et reconnu. C’est cette information qui soutient, de façon synchronique, une vision particulière du corps social et du corps individuel1. »

Référence de cet article

[1] St-Jean, M. (2010), Métamorphose de la représentation sociale du corps dans la société occidentale contemporaine, Thèse de doctorat, UQAM, URL: https://archipel.uqam.ca/3756/1/D1938.pdf.

Citer cet article
Vignaux, G. (2021). « La restitution de résultats ». Revue de Sociologie Visuelle : Territoires visuels, vol. 1, n°1 , p. 19-22. ISBN : 978-2-923690-6-2.

La première photo, L’homme aux vêtements usés et élimés, se veut une amorce pour un article traitant des attitudes corporelles et du port de certains vêtements liées à l’appartenance à une classe sociale donnée. Si on part de l’idée que les attitudes corporelles se construisent, dans les quartiers défavorisés, à partir de corps fatigués, de vêtements usés et élimés, la démarche lente et les itinéraires discrets, en contraste avec l’environnement global mobile, c’est peut-être qu’elles traduisent une certaine inertie, un certain abandon au sort. À l’inverse, les corps jeunes et énergiques, vêtus à la dernière mode et à la démarche affirmée, sont en contraste, dans les sociétés occidentales, avec une large part de la population vieillissante.

La seconde photo, La jeune femme chic, poursuit cette analyse des attitudes corporelles. En l’examinant attentivement, on constate, à l’arrière- plan, un homme adossé à un mur qui est aussi un habitué de la banque alimentaire du quartier et des services de soutien aux personnes démunies. À remarquer aussi le contraste de ses vêtements par rapport à ceux de la jeune femme qui passe tout juste devant lui, tout comme l’attitude corporelle de la jeune femme par rapport à celle de l’homme.

Concrètement, la géométrie sociale se construit toujours à partir de contrastes, de là la nécessité de tout un travail de typification des attitudes corporelles qui reste encore à faire. En ce sens, ces deux photos traduisent deux phénomènes : (i) la façon de se vêtir de certaines personnes démunies et la posture corporelle, parfois prostrée, des gens défavorisés — certes, tous les gens défavorisés n’ont pas une posture corporelle prostrée ni ne porte tous des vêtements défraîchis — ; (ii) la façon dont les attitudes corporelles des uns et des autres entrent en contraste, tracent des parcours à la fois visuels et sociaux, délimitent un territoire visuel et social où se vit la mixité entre gens nantis et démunis.

Faut-il ici souligner que l’allure même d’un vêtement signale l’appartenance à un groupe social ou à une classe sociale donnée. En fait, et c’est là où les choses deviennent intéressantes, c’est que si on s’y mettait et qu’on analysait les vêtements que porte la jeune femme, ainsi que le type de valise qu’elle tire, la posture de son corps et la position de sa tête, ceux-ci pourraient nous en dire beaucoup sur sa position personnelle sur le gradient social, tout comme si on procédait à la même analyse pour l’homme à l’arrière-plan ; il y a ici toute une sociologie des postures du corps et de la mode à convoquer.

En fait, en partant de plusieurs photos, il devient dès lors possible de restituer de véritables résultats en autant que l’on fasse une fidèle description de ce qui constitue la représentation de chacune des photos, que l’on en identifie correctement les contextes respectifs, et que l’on puisse parvenir à une interprétation somme toute relativement fiable.

Sur un déambulateur

© Pierre Fraser, 2015

Mise en récit : ces deux photos doivent conduire à une mise en récit qui intègre les deux étapes précédentes, c’est-à-dire que ces deux photos, d’une part, ont délibérément été choisies pour raconter quelque chose de cohérent — cohérence qu’il s’agit de restituer —, et d’autre part, le contact avec l’image doit inciter à produire un récit à propos de tout ou partie des photos où la première photo révèle les vêtements élimés d’un homme qui fume en milieu urbain à l’intersection de deux rues achalandées, tandis que la seconde révèle des vêtements de bonne qualité d’un homme qui observe la nature dans un boisé urbain .

© Pierre Fraser, 2017

Possibilités d’interprétation : la mise en récit n’épuise pas pour autant toutes les possibilités, car elles désignent aussi un continuum narratif compris entre deux pôles. En d’autres termes, bien souvent, derrière un propos généralisant (constatif, esthétique, moral), se profile une expérience vécue pour celui qui regarde ces photos, une relation à un proche, sur un mode finalement inductif.

Sur un déambulateur

Citer cet article
Fraser, P. (2021). « L’entretien photographique ». Revue de Sociologie Visuelle : Territoires visuels, vol. 1, n°1 , p. 14-17. ISBN : 978-2-923690-6-2.

Ces deux photos doivent conduire à une production de sens, à une généralisation, à une mise en récit et à différentes possibilités d’interprétation.

Production de sens : ces deux photos présentent deux hommes assis sur un déambulateur dans deux contextes différents.

Généralisation : ces deux photo doivent susciter chez celui qui les regarde un jugement global sur la situation sociale des deux hommes assis sur leurs déambulateurs — celui de gauche est installé à l’intersection des rues Saint-Joseph et Du Pont dans le quartier Saint-Roch de Québec, un quartier en processus accéléré d’embourgeoisement où se vit la mixité sociale, et celui de droite se retrouve au Parc Chauveau, un parc urbain inscrit dans l’un des quartiers favorisés de la ville Québec.

Parce que la pauvreté existe…

Il existe deux univers en société, celui que tout le monde voit au quotidien et celui que personne ne veut voir…

Production : Photo|Société
Réalisation : Pierre Fraser

Intervenants

  • Pierre Gravel (dir. La Bouchée Généreuse)
  • Diane (collectif Rose du Nord)
  • Mélanie (collectif Rose du Nord)
  • Marielle (collectif Rose du Nord)


La faim justifie les moyens

La faim, dans une société prospère comme le Québec, existe et exige une logistique sophistiquée de cueillette alimentaire auprès des épiceries.

Production : Photo|Société
Réalisation : Pierre Fraser

Intervenante

  • Hélène Vézina (coordonnatrice à l’approvisionnement,. Moisson Québec)


Inégalités sociales [vidéos]

Exclusion et stigmatisation

J’ai faim…

Les banques alimentaires sont l’un des secteurs économiques les plus en croissance au Québec.

Production : Photo|Société
Réalisation : Pierre Fraser

Intervenants

  • Pierre Gravel (directeur La Bouchée Généreuse)
  • Pierre Fraser (sociologue, directeur scientifique de la revue Sociologie Visuelle)


Inégalités sociales [vidéos]

Exclusion et stigmatisation