Saisir l’instant du passé

L’église Saint-Louis, nichée sur les rives du fleuve Saint-Laurent, est un symbole de l’âme québécoise, de sa profondeur, de sa complexité, de sa richesse. Elle est l’expression d’un peuple, d’une histoire, d’une foi, d’une identité.

L’église Saint-Louis, nichée sur les rives du fleuve Saint-Laurent, est un symbole de l’âme québécoise, de sa profondeur, de sa complexité, de sa richesse. Elle est l’expression d’un peuple, d’une histoire, d’une foi, d’une identité.

Observation

Ce qui m’a toujours intrigué à propos de la pratique photographique, c’est qu’elle permet de plonger dans un passé toujours présent, c’est-à-dire que certains éléments du paysage datent d’une certaine époque, alors que d’autres éléments dans leur entourage se modifient ou s’ajoutent avec le temps. Autrement dit, la photographie permet d’encapsuler le passé en fournissant une image concrète et visuelle de moments passés, en préservant la mémoire, en transmettant l’histoire, en évoquant des émotions et en perpétuant l’héritage culturel. Par exemple, l’église Saint-Louis, nichée sur les rives du fleuve Saint-Laurent, est un symbole de l’âme québécoise, de sa profondeur, de sa complexité, de sa richesse. Elle est l’expression d’un peuple, d’une histoire, d’une foi, d’une identité.

Cette photo, prise un 4 septembre 2018 à l’Île-aux-coudres, cadre l’église Saint-Louis construite en 1885 tout au centre de la photo, alors que sur la gauche, une école à l’architecture typique des années 1950 occupe l’espace, et sur la droite, des maisons unifamiliales également à l’architecture typique des années 1950 se profilent à l’horizon. Au pied de la photo, un aménagement touristique rappelant le passé maritime de l’île et permettant d’avoir une vue sur la petite baie. De là, on peut dire que la photographie permet de transmettre des informations sur le passé et aide à raconter une histoire à propos d’événements historiques, de mouvements sociaux, de changements dans les paysages urbains ou naturels, etc.

© Texte et photo : Pierre Fraser, 2018

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Une forêt de bâtiments, dense et compacte

Ces bâtiments sont aussi une manifestation physique de la hiérarchie économique et sociale qui existe dans notre société. Et pourtant, malgré leur séparation physique, ces bâtiments sont tous interconnectés, formant une toile complexe de relations sociales et économiques qui ne peut être ignorée.

ces bâtiments sont tous interconnectés, formant une toile complexe de relations sociales et économiques qui ne peut être ignorée.

De la basse-ville de Québec, les bâtiments se dressent comme autant de tours dans un paysage urbain dense. On peut y voir une véritable forêt d’édifices représentant un monde à part entière. Mais en regardant plus attentivement, on se rend compte que ces bâtiments, plus que de simples simplement des structures inertes et inanimées, ne sont pas simplement des constructions physiques : ils racontent aussi une histoire de la stratification sociale, constituent une toile complexe de relations sociales et économiques. Chacun de ceux-ci abrite des individus et des organisations qui interagissent entre eux, créant ainsi des liens économiques, sociaux et culturels entre les différentes couches de la société. En outre, ces bâtiments témoignent de l’histoire de la ville, de ses changements économiques et de ses transformations sociales. Les immeubles anciens ont souvent été réaménagés et rénovés pour s’adapter aux besoins de la société actuelle, tandis que les nouveaux bâtiments reflètent les tendances architecturales contemporaines et les nouvelles technologies.

Dans l’ensemble, la toile complexe de relations sociales et économiques tissée par ces bâtiments ne peut être ignorée. Elle est une manifestation tangible de la vie sociale, économique et culturelle de la ville de Québec et de la société dans son ensemble.

© Pierre Fraser (PhD, sociologue), texte et photo – 2020
Photo : Depuis la Gare du Palais de Québec, 20 mai 2018

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La lumière du soleil se jouait des aspérités rugueuses du béton, comme autant de petits jeux de miroirs. Elle se reflétait avec une étrange intensité, éblouissante et pourtant apaisante. Les ombres et les angles du bâtiment de verre semblaient dessiner une partition de lumière sur les fenêtres du palais de justice, comme si chaque courbe et chaque ligne avaient été pensées pour révéler la beauté de ce rayonnement.

La lumière du soleil se jouait des aspérités rugueuses du béton

La lumière du soleil se jouait des aspérités rugueuses du béton, comme autant de petits jeux de miroirs. Elle se reflétait avec une étrange intensité, éblouissante et pourtant apaisante. Les ombres et les angles du bâtiment de verre semblaient dessiner une partition de lumière sur les fenêtres du palais de justice, comme si chaque courbe et chaque ligne avaient été pensées pour révéler la beauté de ce rayonnement. On aurait dit que le béton, loin de s’opposer à la lumière, se laissait habiller de sa clarté, la magnifiant à chaque instant. Les reflets chatoyants donnaient l’impression que le bâtiment vibrait d’une vie nouvelle, empreinte de poésie et de mystère. On pouvait se perdre des heures à contempler ce spectacle fascinant d’un matin de printemps, à la fois éphémère et éternel, qui semblait nous inviter à la contemplation et à la rêverie. Dans cette lumière rugueuse si particulière, le béton se révélait être bien plus qu’un simple matériau de construction : il était devenu une œuvre d’art à part entière, une invitation à la contemplation du monde moderne.

© Pierre Fraser (PhD, sociologue), texte et photo – 2020
Photo : Palais de justice de Québec, 20 mai 2018

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La photographie est un moyen de capturer et de partager la beauté du monde qui nous entoure

Au bas de la chute, l’esprit se perd dans un tourbillon de sensations. L’eau qui tombe et se brise contre les rochers, la vapeur qui s’élève en nuages mouvants, l’odeur de l’humidité et de la vie végétale. Là où se marie l’horizon du ciel et de l’eau qui coule, l’œil ne peut s’empêcher de se perdre dans la profondeur de l’infini.

Le regard se fixe sur la chute d’eau, capturé par sa danse éternelle. Il suit le flux et reflux de l’eau, sa chute libre, sa rencontre avec les rochers en contrebas. Et puis, il se lève, porté par la perspective infinie de l’horizon. Le ciel s’étend devant lui, immense et ouvert, un appel vers l’inconnu.

C’est un endroit où les éléments se rencontrent, où le temps et l’espace se confondent. L’eau et le ciel, le mouvement et l’immobilité, la chute et l’élévation. Ici, les opposés se complètent, se fondent en une seule et même expérience.

La perception se transforme, se métamorphose en quelque chose de plus profond. L’œil voit, mais l’esprit perçoit. Il est saisi par l’énergie brute de la nature, par la beauté pure de la création. Le temps s’arrête, la réalité se dissout, et le monde extérieur s’efface dans une étreinte avec le divin.

C’est à cet endroit, au bas de la chute, que l’on peut toucher du doigt l’éternité. C’est là que l’on peut se connecter avec le cosmos, avec l’univers qui nous entoure. C’est là que l’on peut goûter la véritable essence de la vie.

© Pierre Fraser (PhD), sociologue / texte et image, 2018

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Le visuel prédomine Citer cet articleVignaux, G., Fraser, P. (2021). « Le visuel est partout ». Revue de Sociologie Visuelle : Territoires visuels, vol. 1, n°1 , p. 19-22. ISBN : 978-2-923690-6-2. Dans un contexte où l’image est partout, où l’image prédomine, il y a…

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Stratification sociale Le statut socio-économique d’une personne se reflète non seulement dans des indices subtils tels que certains mouvements du corps lorsqu’elle est en relation avec d’autres personnes, mais aussi dans le fait que les inégalités sociales sont reproduites par le corps d’où l’idée que…

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Des pigeons et une soupe Campbell’s

L’insolite en contexte survient du moment où un ensemble de repères visuels déstabilisent l’environnement visuel immédiat.

L’insolite en contexte survient du moment où un ensemble de repères visuels déstabilisent l’environnement visuel immédiat

L’art urbain a cette capacité, par ses installations et ses performances, de déconstruire ou reconstruite ce qui constitue nos repères visuels au quotidien.

Cette œuvre artistique avait été installée en 2018 au parc de la Pointe-aux-Lièvres (Québec) dans une ancienne zone industrielle requalifiée en quartier d’habitations. Avec ses pigeons surdimensionnés (2 mètres), cet oiseau urbain typique et souvent considéré comme nuisible, et sa boîte de soupe Campbell’s, symbole emblématique du pop art des années 1960 mené par Andy Warhol, renvoie à une certaine occupation du territoire géographique (pigeons) et à une certaine occupation de l’imaginaire collectif (boîte de soupe Campbell).

© Pierre Fraser (PhD), sociologue / texte et image

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Une sirène sur le Saint-Laurent

Une sirène sur le Saint-Laurent Art en contexte, sculpture intégrée dans son milieu, immensité du fleuve Saint-Laurent, l’Île-aux-coudres réserve des joyaux visuels à qui sait les repérer. Cette sirène, à gauche de la photo, installée sur un terrain privé longeant le Chemin de la Bourroche,…

Sur un déambulateur

Mise en récit : ces deux photos doivent conduire à une mise en récit qui intègre les deux étapes précédentes, c’est-à-dire que ces deux photos, d’une part, ont délibérément été choisies pour raconter quelque chose de cohérent — cohérence qu’il s’agit de restituer —, et…

Le chien assis à la table

SOCIOLOGIE VISUELLE au bistro un dimanche matin Et c’est là où le chien assis à la table permet de mettre en image une situation sociale contrastée où la mixité sociale devient de plus en plus conflictuelle. Pour rappel, une situation sociale contrastée, dans le monde…

Cachez cette pauvreté…

Des « hordes en haillons » à l’assaut des bonnes gens. Si Louis-H. Campagna, citoyen engagé de Québec, parlait d’« un vieux rêve issue de vieilles idées, une palissade immobilière érigée afin de défendre les bonnes et honnêtes gens du Vieux-Port et du Vieux-Québec contre les hordes en…

Simplicité et Inventivité architecturale

Les architectes et designers suédois, reconnus pour leur design innovant et conceptuel, ainsi que pour leur approche minimaliste et épurée, largement inspirée de la culture scandinave, ont cette capacité à joindre à la fois la simplicité et l’efficacité. Par exemple, cette maison, élaborée par la firme suédoise Claesson Koivisto Rune, a été «conçue» à partir de règles de zonage inhabituellement strictes.

Claesson Koivisto Rune est une entreprise suédoise de design et d’architecture fondée en 1995 par les designers Mårten Claesson, Eero Koivisto et Ola Rune. La particularité de cette entreprise réside dans son approche multidisciplinaire du design, qui couvre un large éventail de domaines, allant de l’architecture à la conception de mobilier, en passant par la création de produits, de graphismes et de stratégies de marque.

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Les architectes et designers suédois, largement inspirés de la culture scandinave et reconnus pour leur design innovant et conceptuel ainsi que pour leur approche minimaliste et épurée, ont cette capacité à joindre à la fois la simplicité et l’efficacité. Par exemple, cette maison, élaborée par la firme suédoise Claesson Koivisto Rune, a été «conçue» à partir de règles de zonage inhabituellement strictes. Le site, situé à côté de la grande rivière Lule älv, se trouve dans le nord de la Suède, juste au sud du cercle polaire. La réglementation locale prévoyait une maison d’une hauteur maximale de seulement 4,2 mètres. Elle stipulait également que la maison devait avoir un toit rouge.

Cela étant précisé, l’un des reproches le plus souvent fait à l’endroit de la conception architecturale au Québec se résume simplement : le manque d’imagination quant à l’utilisation des volumes et leur disposition. Ici, les architectes ont donc su jouer avec la disposition des espaces en créant deux volumes trapézoïdaux orientés dans des directions opposées. Autrement, le plus grand volume constitue l’espace de vie, orienté vers la rivière, et le plus petit comporte un garage et un sauna avec une terrasse sur le toit.

Toutefois, il est important de noter que l’architecture est une discipline qui est souvent encadrée par des normes et des réglementations, en particulier en matière de construction. Celles-ci peuvent limiter la créativité des architectes dans certains aspects du processus de conception, comme les dimensions maximales d’un bâtiment ou les restrictions sur les matériaux de construction. Ces limites peuvent être renforcées par des exigences économiques et de rentabilité, ainsi que par les attentes des clients.

En revanche, on peut donc se demander qu’est-ce qui empêcherait bien un promoteur immobilier de concevoir un tel type de maison ?

© Texte : John Astbury, 2023
© Photos : Claesson Koivisto Rune, 2022

La photographie est-elle objective ?

© Photo : Pierre Fraser (PhD), sociologue, 2018

Repères visuels de la défavorisation

Objectivité ou subjectivité ?

Tout d’abord, par toute l’objectivité dont la photo est porteuse — enregistrement tangible d’un événement qui s’est produit à un moment ou l’autre dans un contexte social donné —, par toute la subjectivité qui imprègne aussi la photo — invariable reflet du point d’attention de celui qui a tenu la caméra et de ce qu’il voulait cadrer et montrer —, l’image constitue inévitablement un ensemble de processus très subjectifs complexes (l’intangible) encapsulés temporellement dans une forme incroyablement objective (le tangible), de là tout l’intérêt de l’analyse sociologique à travers un corpus visuel.

Une photo est-elle objective ?
En fait, une photo est à la fois une combinaison
complexe d’objectivité et de subjectivité.

Ce qui rend une photo objective répond essentiellement à quatre critères : (i) la visibilité (caractéristiques morphologiques), (ii) la distinctivité des caractéristiques morphologiques (on ne peut les confondre avec d’autres), (ii) la pertinence des caractéristiques morphologiques (ce à quoi elles servent), la disponibilité des caractéristiques morphologiques (elles sont caractéristiques d’un environnement social donné).

Ce qui rend une photo subjective relève de deux critères : l’intention de celui qui a cadré et le regard de celui qui examine la photo. Et c’est là où intervient la sociologie visuelle, car elle se situe dans une démarche de construction d’images pour expliquer les phénomènes sociaux, étudier les tendances sociales, les comportements et les idées. Si l’objectif de la sociologie visuelle est d’utiliser ces images pour comprendre le monde social, elle peut aussi montrer et expliquer certains phénomènes sociaux afin d’atténuer la dimension subjective et de ses impacts négatifs. La photographie, en matière de sociologie visuelle doit informer et non construire ou renforcer les préjugés. Défi de taille s’il en est..

© Texte : Pierre Fraser (PhD), sociologue, 2023

Selfie en mode touriste

© Olivier Moisan-Dufour, 2016

À Québec, chaque année, l’industrie du tourisme amène plusieurs groupes en provenance de différents pays. Les touristes asiatiques, bardés d’appareils photographiques de toutes sortes, se démarquent tout particulièrement, et les touristes japonais ne sont pas en reste. Non seulement les voit-on prendre de grandes quantités de photos, mais il est aussi intéressant de constater à quel point ils s’investissent dans le selfie. C’est donc ce phénomène que l’artiste Olivier Moisan-Dufour a voulu montrer à travers cette séquence de photos prises dans les environs de la Terrasse Dufferin attenante au Château Frontenac situé dans le Vieux-Québec.

Comme la photographie fait inévitablement partie d’un voyage, qu’elle le documente en quelque sorte, Olivier a tenté de mettre en exergue les attitudes et les postures du corps du touriste dans sa quête de la « bonne » photo qui enrichira à souhait les souvenirs personnels et familiaux. Et sa position, à ce sujet, va comme suit : « la photographie permet de documenter un voyage, et elle le fait sur le mode de la différenciation par rapport à la culture d’origine du touriste. Elle montre les différences culturelles, en précise le pittoresque ainsi que son côté singulier et spécial, souligne les différences architecturales, saisit la nature dans tout ce qu’elle a de dissemblable, de distinct, d’original et de particulier. » Avec les appareils numériques, de plus en plus performants et de plus en plus accessibles, il faut se rendre à une évidence : le monde est actuellement de plus en plus visuellement documenté.

Et ce monde visuellement documenté agit aussi comme soi en toile de fond. Si le touriste d’avant le téléphone intelligent ne se mettait pas lui-même en scène, voilà que ce dernier rend désormais possible le fait de s’incruster soi-même dans la trame visuelle d’une autre société. Tout ceci n’est pas anodin, car c’est aussi une nouvelle façon d’exister en montrant à son cercle d’amis, dans l’instantané, à travers les réseaux sociaux que l’on fait aussi quelque chose de passionnant de sa vie.

Partant de là, il devient possible d’accéder par procuration à la vie de certaines personnes à travers les images qu’elles ont publiées, nous donnant ainsi accès à leur niveau de popularité quantifié en mentions « J’aime ». D’ailleurs, la photographie de gauche et celle ci-dessous rendent bien compte de ce phénomène. Elles sont la démonstration éclatante du double selfie, c’est-à-dire photographier celle qui prend un selfie (la touriste de gauche) tout en se voyant soi-même (la touriste de droite) dans le téléphone intelligent de la touriste de gauche. C’est l’ultime selfie, l’ultime représentation de soi-même, se tenir par la main dans une position quelque peu inconfortable pour photographier celle qui prend un selfie afin d’avoir un effet de contre-plongée de soi-même.

© Photo : Olivier Moisan-Dufour, 2016
© Texte : Olivier Moisan-Dufour et Pierre Fraser, 2022

Une robe croquante comme du céleri et fraîche comme une fleur

« Votre patron, Madame (Anne Adams, n° 4367 – 10 janvier 1940)

Les jeunes filles et les femmes à la mode savent qu’il n’est pas nécessaire d’être chic seulement en société, mais aussi dans la maison, et c’est pourquoi Anne Adams se préoccupe aussi des styles qui avantagent les maîtresses de maison. Lorsqu’un visiteur inattendu arrive, vous pouvez sans honte le recevoir si vous êtes vêtue d’une robe comme celle-ci, croquante comme du céleri, fraîche comme une fleur, aussi fantaisiste qu’une robe d’après-midi, sauf que le tissu diffère. Les poches sont en forme de pots de fleurs, six gentils boutons ornent la taille, qui est soulignée par un large ceinturon se bouclant en arrière1

Cette publicité parue dans le journal Le Soleil de Québec le 10 janvier 1940 peut aujourd’hui surprendre par la description de la robe et de son utilité au quotidien pour la maîtresse de maison, surtout lorsqu’un visiteur inattendu arrive à l’improviste, c’est-à-dire que la robe doit, presque en toutes circonstances, même dans le train-train du lavage, du repassage, du ménage et de la confection des repas, avantager la femme. Autrement dit, les repères visuels qui constituent cette robe s’inscrivent dans une époque qui a ses propres codes sociaux. Concrètement, cette robe possède quatre propriétés distinctives qui l’inscrivent dans la décennie de la Seconde Guerre mondiale, soit sa visibilité en tant que mise en évidence d’une morphologie féminine, sa pertinence pour l’action en tant que maîtresse de maison, sa distinctivité en ce qu’il est impossible de la confondre avec un autre type de vêtement, sa disponibilité quant à sa relative stabilité relative dans l’environnement vestimentaire du début des années 1940.

En fait, la mode féminine des années 1940 a été influencée par les besoins pratiques de l’époque, en raison de la Seconde Guerre mondiale et de la pénurie de matières premières. Au début de la décennie, les vêtements étaient conçus de manière à être pratiques et faciles à porter, avec des épaules larges et des jupes courtes ou juste au-dessous du genou. Les robes et les jupes étaient souvent dotées d’une taille empire, qui était plus confortable et pratique pour les femmes qui travaillaient dans les usines2.

À mesure que la guerre a progressé, la mode féminine s’est tournée vers des styles plus féminins et glamour, avec l’accent mis sur les formes pleines, les courbes et la silhouette en sablier. Cela a été reflété dans la popularisation de la silhouette « New Look » de Christian Dior3, qui mettait en valeur la taille avec une ceinture cintrée et une jupe large et évasée tombant au-dessous du genou, sans compter que les vêtements féminins des années 1940 étaient souvent accompagnés d’accessoires tels que des chapeaux à larges bords, des gants, des chaussures et des sacs à main colorés ou ornés de détails complexes. Les imprimés étaient également populaires, avec des robes et des blouses colorées et imprimées de fleurs ou de motifs géométriques.

En résumé, la mode féminine des années 1940 était pratique et fonctionnelle au début de la décennie, mais est devenue plus féminine et glamour vers la fin de la décennie, avec l’accent mis sur les formes pleines et la silhouette en sablier. Et lorsque Anne Adams signale qu’il s’agit d’une « robe croquante comme du céleri et fraîche comme une fleur » pour la maîtresse de maison, elle met bien en évidence les repères visuels de celle-ci à travers une description qui cherche à avantager la femme, c’est-à-dire en mode séduction même dans le quotidien de l’entretien ménager.

© Pierre Fraser (PhD), sociologue / 2022

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Comment la photographie peut-elle rendre compte des réalités sociales ?

La photo que je prends aujourd’hui a-t-elle une quelconque valeur du point de vue sociologique, c’est-à-dire sa capacité à rendre compte d’une quelconque réalité sociale ? Par définition, la majorité des photos que nous prenons en contexte social ont une valeur sociologique. Par exemple, une photo prise il y a quelques années ou quelques décennies peut révéler beaucoup sur le contexte social d’une certaine époque. Une fête familiale, un événement sportif, culturel, religieux ou autre, nous renseigne sur la nature des interactions sociales, les normes culturelles, les relations de pouvoir, la façon dont les gens communiquent à travers leurs postures vestimentaires ou corporelles, etc. La photographie peut également être utilisée pour étudier la construction de l’identité, thème cher à notre époque où la fluidité corporelle dissocie le genre des organes génitaux donnés à la naissance.

On peut donc dire que la sociologie visuelle vise avant tout à accroître le pouvoir analytique des données visuelles par un engagement critique avec les pratiques visuelles de la vie quotidienne. De cette façon, la sociologie visuelle est l’application de méthodes visuelles à la recherche et à l’enquête sociologiques. Ce faisant, les sociologues intéressés par la dimension visuelle s’efforcent de créer de nouvelles façons d’enquêter sur la vie sociale et de développer de nouvelles propositions théoriques. En ce sens La sociologie visuelle concerne la construction d’images pour expliquer les phénomènes sociaux. Il s’agit d’un domaine relativement nouveau de la sociologie qui utilise des photographies et d’autres images pour étudier et expliquer les tendances sociales, les comportements et les idées.

Ainsi, la première photo de gauche, prise dans un marché public, révèle en partie l’appartenance à une certaine classe sociale de cette personne qui examine un sachet de chocolat de 250 gr. valant au bas mot 7,50 $. Elle a la possibilité de choisir ce qu’elle désire acheter. À l’inverse, la seconde photo, prise dans une banque alimentaire, révèle l’appartenance à une classe sociale moins nantie, où il n’est pas question de choisir ce que l’on veut acheter, mais bien de choisir ce qui est rendu gratuitement disponible par ceux qui ont récolté de la nourriture auprès d’épiceries ou de supermarchés.

En somme, la photographie nous aide à comprendre comment le visuel peut façonner nos perceptions du monde.

© Pierre Fraser (PhD), texte et photos, 2022