Y a-t-il plagiat lorsque des images sont générées par l’intelligence artificielle (IA) ?

Lorsque qu’une image est générée par un système d’intelligence artificielle (imagerie générative) en fonction de certains critères basés sur des séquences de mots, ce dernier puise dans un colossal réservoir d’éléments visuels répartis dans des centaines de millions d’images produites par différentes personnes (des représentations graphiques de la grotte de Lascaux, en passant par l’Antiquité, le Moyen-Âge, et la Renaissance, jusqu’aux moyens modernes de production d’images dont, entre autres, la photographie et le cinéma), il n’y a pas plagiat.

Définitions

Le plagiat est le fait de présenter comme étant de sa propre création ou de sa propre recherche un travail, une idée ou une création originale qui a été réalisée par quelqu’un d’autre. Le plagiat peut prendre de nombreuses formes, notamment la copie d’un texte, la reproduction d’une image, la réutilisation de données, la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates, ou encore la traduction d’un travail existant sans permission ou sans mentionner la source.

Une création artistique est une œuvre produite par un artiste qui utilise sa créativité, son imagination et ses compétences techniques pour exprimer des idées, des émotions ou des sentiments à travers une forme d’art. L’artiste peut être inspiré par de nombreuses sources telles que la nature, la société, la culture, les émotions personnelles, les événements historiques, les mythes et les légendes, entre autres. La création artistique peut être un processus long et laborieux, nécessitant souvent de la pratique, de l’expérimentation, de la réflexion et de l’exploration. Une création artistique peut avoir différents objectifs, comme transmettre un message, susciter une émotion, inspirer une réflexion, provoquer un changement, ou tout simplement offrir une expérience esthétique plaisante ou enrichissante. L’appréciation d’une création artistique est subjective et peut varier en fonction des goûts et des expériences de chacun.

Une création artistique, en peinture, implique l’application de couleurs et de matières sur une surface, telle que la toile ou le papier, pour créer une image ou une représentation visuelle. L’artiste peut utiliser diverses techniques pour créer son œuvre, comme la peinture à l’huile, l’aquarelle, l’acrylique, la gouache, ou encore la peinture numérique. La création artistique en peinture peut être figurative ou abstraite, et peut inclure des éléments tels que la composition, la lumière, la texture, la ligne et la couleur pour transmettre des émotions, des idées ou des concepts.

Une création artistique, en photographie, implique la capture d’images visuelles en utilisant un appareil photo. Les photographes peuvent utiliser des techniques telles que la composition, l’éclairage, la mise au point, la vitesse d’obturation et l’ouverture pour créer une image qui transmet une émotion ou une idée. Les photographies peuvent être retouchées ou manipulées numériquement pour créer des effets spéciaux ou des compositions plus complexes. La création artistique en photographie peut inclure des genres tels que la photographie de paysage, la photographie de portrait, la photographie de rue, la photographie abstraite ou la photographie documentaire.

Argumentation

En partant de définitions précédentes, dira-t-on d’un poète, d’un romancier ou d’un chercheur qu’il a plagié en puisant dans l’ensemble de tous les mots que lui autorise sa langue ? La réponse à cette question mérite quelques considérations.

Considération # 1

Une langue est un système de signes. Le signe est composé d’un signifiant (le mot) et d’un signifié (le ou les sens du mot). Le mot, en tant que signifiant, est une entité totalement abstraite : table en français et mesa en espagnol renvoient à un signifié similaire, celui d’un meuble où l’on sert des repas (sens commun) ; autrement dit, le signifiant prend le ou les sens consacrés par l’usage. D’un autre côté, et cela n’est pas anodin, les mots ont été produits par un grand nombre de locuteurs au fil du temps et ont subi de multiples transformations ; ils ne sont pas arrivés ex nihilo.

Une image (peinture, photographie, infographie) est un système de signes. Chaque élément visuel d’une image est un signe composé d’un signifiant (l’éléments visuel) et d’un signifié (le ou les sens de l’élément visuel). L’élément visuel, en tant que signifiant, est une entité totalement abstraite : la couleur blanche possède différente signification en fonction de la culture. Par exemple, la patte d’une table constitue un élément visuel, tout le carrelage d’une fenêtre constitue un élément visuel, etc. ; tout signifiant visuel (i.e. une table, une fenêtre) peut ainsi être décomposé en ses éléments visuels de base.

Considération # 2

Tous les locuteurs d’une langue ont accès au même réservoir de mots (système de signes), et partant de là, ils peuvent générer à l’infini des phrases dans lesquelles sont ordonnés les mots en fonction de ce que permet la syntaxe d’une langue. C’est la concaténation de mots dans une phrase qui permet de véhiculer une idée, un concept, un sentiment, une impression, etc. Sans cette concaténation de mots, il est impossible de formuler un quelconque sens.

Tous les producteurs d’images ont accès au même réservoir d’éléments visuels (système de signes), et partant de là, ils peuvent générer à l’infini des images dans lesquelles sont ordonnés les éléments visuels en fonction de ce que permet à la fois leur culture et leur créativité. C’est la concaténation de certains éléments visuels dans une image qui permet de véhiculer une idée, un concept, un sentiment, une impression, etc. Par exemple, ce qui fait que la Joconde de Léonard de Vinci est la Joconde, c’est un ordonnancement particulier d’éléments visuels que permet la peinture.

Considération # 3

Ce qui différencie l’originalité d’une séquence de mots que l’on peut attribuer à un auteur, c’est lorsque que cette séquence de mots est inscrite sur un quelconque support (physique ou virtuel). Par exemple, dans le monde de la recherche, il est impératif d’indiquer la provenance de certaines séquence de mots afin d’attribuer à la bonne personne l’originalité de l’exercice, car cette séquence de mots véhicule une idée ou un concept scientifique bien précis. Autrement dit, aucun des mots, pris individuellement, n’est en mesure de véhiculer le concept proposé par un chercheur, mais du moment qu’ils sont intégrés dans une phrase, un paragraphe ou un chapitre, ils véhiculent une idée ou un concept.

Ce qui différencie l’originalité d’une séquence d’éléments visuels que l’on peut attribuer à un producteur d’images, c’est lorsque que cette séquence d’éléments visuels est inscrite sur un quelconque support (physique ou virtuel). Par exemple, personne ne confondra un Van Gogh avec un Rembrandt, ou une photographie de Henri Cartier-Bresson avec celle d’un photographe amateur. Autrement dit, aucun des éléments visuels, pris individuellement, n’est en mesure de véhiculer le concept proposé par un producteur d’images, mais du moment qu’ils sont intégrés dans une quelque composition graphique, ils véhiculent une idée, un concept ou une impression.

Considération # 4

Il y a plagiat du moment qu’un auteur véhicule la même idée qu’un autre auteur à travers la même séquence de mots ou séquence de mots similaires ou réordonnancées sur un quelconque support (physique ou virtuel). Conséquemment, il n’y a pas plagiat si une séquence de mots similaires à un autre auteur ne véhicule pas la même idée. En fait, si la même séquence de mots se retrouve dans un paragraphe avec d’autres séquences de mots différenciées afin de véhiculer une idée différente, il n’y a pas plagiat.

Il y a plagiat du moment qu’un producteur d’images véhicule la même idée qu’un autre producteur d’images à travers la même séquence d’éléments visuels ou séquence d’éléments visuels similaires ou réordonnancés sur un quelconque support (physique ou virtuel). Conséquemment, il n’y a pas plagiat si une séquence d’éléments visuels liée à un autre producteur d’images ne véhicule pas la même idée. En fait, si la même séquence d’éléments visuels se retrouve dans une composition graphique avec d’autres séquences d’éléments visuels différenciées afin de véhiculer une idée différente, il n’y a pas plagiat.

Le courant impressionniste est éloquent à ce sujet où il s’agissait de capturer l’impression visuelle que produisait un paysage, une scène de vie quotidienne, ou une personne, plutôt que de chercher à représenter les détails avec précision, tout en utilisant des couleurs vives appliqués à touches rapides pour capturer l’effet de la lumière naturelle sur un sujet, créant ainsi une impression de mouvement et de spontanéité. Ainsi, du précurseur que fut Édouard Manet, reconnu pour ses peintures révolutionnaires de la vie moderne, comme Le Déjeuner sur l’herbe et Olympia, c’est toute une série de peintres impressionnistes, dont Claude Monet, Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, Mary Cassatt, Camille Pissarro, Berthe Morisot, qui se sont tous inspirés de la même technique visuelle pour produire leurs œuvres. Plusieurs éléments visuels (rond jaune, point blanc, ligne bleue, etc.) d’un Monet peuvent se retrouver dans la peinture d’un Renoir, et personne n’aurait pour autant l’idée même de penser que parce que Renoir reprend des éléments visuels de Monet qu’il y a pour autant là plagiat.

Considération # 5

Le plagiat renvoie essentiellement à la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates et non à une séquence de mots précise, car la loi des grands nombres fait en sorte qu’un séquence de mots bien précise est susceptible de survenir de temps à autre.

Le plagiat renvoie essentiellement à la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates et non à une séquence d’éléments visuels précise, car la loi des grands nombres fait en sorte qu’un séquence d’éléments visuels bien précise est susceptible de survenir de temps à autre.

Contre-Argumentation

À venir… En attente des arguments de mes collègues.

Proposition concernant l’Imagerie générative

Supposons que le jour où Henri Cartier-Bresson prenait ses photos de certaines personnes dans la foule venues assister au couronnement de la reine Élisabeth II, qu’il y ait eu un autre photographe qui s’adonnait au même exercice et que ce dernier cadrait plus ou moins les mêmes sujets, y aurait-il eu là plagiat ? Autrement dit, en considérant qu’une photographie x saisisse certains éléments visuels préexistant à la photo qui sera prise et les fige sur la pellicule, et en considérant qu’une photographie y cadre presque la même chose et fige le tout sur une pellicule, peut-on affirmer que la photo y est un plagiat de la photo x si les éléments visuels de chacune de celles-ci préexistaient avant la prise même de la photo ? Est-ce que saisir sur pellicule un bâtiment donné aux éléments visuels préexistants est un plagiat de ce qui existe dans le monde objectif ? Non. Alors, qu’est-ce qui fait qu’une photo est originale et qu’elle peut prétendre à l’originalité ? Par l’ordonnancement propre à cette photo de tous les éléments visuels qui la compose, Dès lors, reproduire cette photo est de l’ordre du plagiat. Cependant, chaque éléments visuel de cette photo pris séparément et reproduit ailleurs ne peut être considéré comme du plagiat.

Lorsque qu’une image est générée par un système d’intelligence artificielle (imagerie générative) en fonction de certains critères basés sur des séquences de mots, ce dernier puise dans un immense réservoir d’éléments visuels répartis dans des centaines de millions d’images produites par différentes personnes (des représentations graphiques de la grotte de Lascaux, en passant par l’Antiquité, le Moyen-Âge, et la Renaissance, jusqu’aux moyens modernes de production d’images dont, entre autres, la photographie et le cinéma), il n’y a pas plagiat.

Pourquoi ? Parce que la recomposition graphique qu’effectue un générateur artificiel d’images le fait à partir d’un réservoir d’éléments visuels non ordonnancés qui sont réordonnancées aléatoirement dans une séquence bien précise, sans compter que la même séquence de mots, une fois relancée, ne donnera pas la même composition graphique, et ne renverra à rien dans la réalité (le monde objectif). Par exemple, de toutes les images présentes sur cette page, aucune ne renvoie à une réalité tangible : elles sont entièrement le produit d’une concaténation d’éléments visuels ordonnancés d’une certaine façon. Pour mieux comprendre la chose, les éléments visuels des fenêtres (vitre, diviseurs, cadre, lumière intérieure) de la dernière image ont entièrement été recomposés à partir d’autant d’éléments visuels récupérés depuis le réservoir d’images, qui elles-mêmes comportent parfois des centaines d’éléments visuels. L’atmosphère que nous avons voulu donner à cette image est elle-même générée à partir d’éléments visuels toujours issus du même réservoir d’images, et il en va de même pour les éclairages extérieurs (angle, intensité, ombres projetées ou non).

On parlera alors de composition sémiographique, c’est-à-dire la représentation graphique de signes et de symboles dans une mise en forme visuelle. Si, dans une perspective sémiotique, les signes peuvent être considérés comme des entités abstraites qui sont représentées par des formes concrètes, telles que des images ou des repères visuels, la conception sémiographique peut ainsi être vue comme la manière dont ces signes abstraits sont traduits visuellement, en utilisant des formes, des couleurs, des textures et des styles graphiques pour les représenter en utilisant des systèmes d’imagerie générative.

Si on part du principe que le plagiat peut prendre de nombreuses formes, notamment la copie d’un texte, la reproduction d’une image, la réutilisation de données, la présentation d’idées ou de concepts sans références adéquates, ou encore la traduction d’un travail existant sans permission ou sans mentionner la source, on ne peut alors affirmer avec certitude qu’une image générée par un algorithme d’intelligence artificielle génératif relève du plagiat, car aucun des éléments visuels de celle-ci ne renvoie à rien dans la réalité (i.e. une table pourra être générée à partir de différents éléments visuels puisés dans différentes images). En ce sens, il y a plagiat lorsque l’image est reproduite à l’identique ou similaire à l’originale dans l’ordonnancement des éléments visuels qui la compose et qui la rend ainsi « reconnaissable » (un air de déjà vu) à l’originale.

En bout de ligne, ce sont les législateurs de différents pays qui décideront si oui ou non une image générée par une intelligence artificielle est ou non du plagiat. Certes, les artistes verront dans l’imagerie générative une atteinte à leur créativité si ceux qui les emploient ou achètent leurs œuvres se tournent vers l’imagerie générative. Les artistes, peintres et photographes peuvent ainsi craindre que leurs œuvres soient remplacées par des œuvres générées par des machines, ce qui pourrait compromettre leur capacité à gagner leur vie en tant qu’artistes. Toutefois, le génie est sorti de la bouteille et il sera impossible de l’y faire entrer à nouveau.

En somme, ceux qui tireront leur épingle du jeu sont peut-être justement ceux qui sauront judicieusement tirer parti de cette nouvelle donne. Ce postulat reste non seulement à vérifier, mais reste surtout à être argumenté…

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2023
© Sémiographie : Photo|Société, 2023

Le télétravail et ses repères visuels

Si l’ergonomie fait référence à la manière dont le bureau à domicile et le mobilier à installer sont conçus afin de garantir la santé physique et mentale des personnes, réduisant ainsi les risques et les blessures possibles, il va sans dire que la première étape pour obtenir un bureau à domicile ergonomique est vraisemblablement d’opter pour des meubles qui permettent une posture correcte, facilitant ainsi le repos du corps pendant les heures passées à travailler en position assise, tout en offrant une liberté de mouvement et des changements posturaux confortables et fluides qui favorisent le bien-être des personnes.

Adopter les comportements appropriés en matière de télétravail, d’où l’idée d’une bonne chaise ergonomique afin d’augmenter l’efficacité et la productivité. (© Photo : Actiu, Trim azul aluminio)

Avec l’introduction et la généralisation du télétravail, de nombreuses personnes passent leur journée de travail dans leur bureau à domicile. Mais « comment obtenir le bureau à domicile idéal, qui devient un espace de travail efficace et qui s’adapte aux dimensions et aux caractéristiques du logement ? Si l’ergonomie fait référence à la manière dont le bureau à domicile et le mobilier à installer sont conçus afin de garantir la santé physique et mentale des personnes, réduisant ainsi les risques et les blessures possibles, il va sans dire que la première étape pour obtenir un bureau à domicile ergonomique est vraisemblablement d’opter pour des meubles qui permettent une posture correcte, facilitant ainsi le repos du corps pendant les heures passées à travailler en position assise, tout en offrant une liberté de mouvement et des changements posturaux confortables et fluides qui favorisent le bien-être des personnes1. » On reconnaît donc là tous les lieux communs liés à la notion d’ergonomie et de télétravail. Du point de vue de la sociologie visuelle, on reconnaît également là les 4 fonctions d’un repère visuel, à savoir :

  • signaler en vue de l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions ; dans le cas présent, il est essentiel de prendre en considération le nombre d’heures par jour que nous passons assis sur notre chaise de bureau à domicile, donc de l’éventuelle nécessité d’investir dans une chaise ergonomique ;
  • localiser d’autres repères qui doivent déclencher une action (le repère est élément de réseau), c’est-à-dire, dans un contexte de télétravail, s’ajoutent les risques liés à une mauvaise posture : un dos voûté ou des points de pression localisés en position assise peuvent entraîner de graves problèmes de santé à moyen ou long terme ;
  • confirmer qu’un individu adopte les comportements appropriés, et c’est pourquoi il serait essentiel d’investir dans une bonne chaise de bureau ergonomique ;
  • combler certaines attentes, c’est-à-dire que, dans un tel cas de figure, la prise en compte de l’ergonomie dans le bureau à domicile n’apporte pas seulement des bénéfices pour la santé à moyen et long terme, car l’accent mis sur le confort et l’ergonomie de l’espace de travail à domicile améliore et prolonge le temps de concentration et réduit les interruptions et les distractions dues aux déplacements et aux repositionnements.

Autrement dit, l’ensemble des 4 fonctions des repères visuels liés à une chaise ergonomique doivent avant tout répondre à des objectifs d’efficacité et de productivité, les maîtres-mots d’un monde du travail en constante mutation. On dira donc, du point de vue de la sociologie visuelle, que les repères visuels de l’ergonomie dans un bureau visent non seulement à proposer d’améliorer la qualité de la vie professionnelle des personnes (en leur apportant confort et sécurité et en améliorant l’environnement de travail, tant dans les équipes de bureaux ouverts que dans le cadre du télétravail), mais visent aussi à faire en sorte que le travailleur, en voyant une chaise ergonomique, sache qu’il se trouvera dans un environnement idéal et bien équipé, avec tous les éléments pour profiter d’une journée de travail où la santé et le bien-être seront pris en charge ; conséquemment, l’efficacité et les performances augmenteront inévitablement. C’est bien ce à quoi prétendent les repères visuels d’une bonne chaise ergonomique.

Référence
1 Actiu (2022, 9 août), ¿Por qué es importante la ergonomía en la oficina en casa?.

Un monde du travail en mutation

Un monde du travail en mutation (documentaire)

Nouvelles logiques de marché, mondialisation accrue, changements technologiques, nouvelles pratiques managériales, transformations des attitudes de la main d’œuvre à l’égard du travail. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Les transformations contemporaines du rapport au travail (colloque)

Les conditions économiques et culturelles qui façonnent les attitudes et les comportements au travail, de même que la place et le sens que revêt celui-ci chez les individus, se sont profondément transformées. PRODUCTION Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Plateformes de partage, la dimension cachée du travail

Les plateformes s’affichent comme des intermédiaires neutres, mais elles dissimulent des structures hiérarchiques et des liens de subordination plus importants qu’on ne pourrait le croire. PRODUCTION INTERVENANT Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Libéralisation des services

Le secteur des services n’échappe pas à la libéralisation, où l’évaluation du rendement s’infiltre de plus en plus. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Libéralisation des marchés

Flexibilité, évaluation du rendement, performance, nouveaux types de relation au travail. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Nouvelles pratiques managériales

De nouvelles pratiques managériales se sont implantées qui renvoient vers l’employé sa propre autonomisation. PRODUCTION INTERVENANTS Un monde du travail en mutation Transformations de la main d’œuvre

Comment la photographie peut-elle rendre compte des réalités sociales ?

La photo que je prends aujourd’hui a-t-elle une quelconque valeur du point de vue sociologique, c’est-à-dire sa capacité à rendre compte d’une quelconque réalité sociale ? Par définition, la majorité des photos que nous prenons en contexte social ont une valeur sociologique. Par exemple, une photo prise il y a quelques années ou quelques décennies peut révéler beaucoup sur le contexte social d’une certaine époque. Une fête familiale, un événement sportif, culturel, religieux ou autre, nous renseigne sur la nature des interactions sociales, les normes culturelles, les relations de pouvoir, la façon dont les gens communiquent à travers leurs postures vestimentaires ou corporelles, etc. La photographie peut également être utilisée pour étudier la construction de l’identité, thème cher à notre époque où la fluidité corporelle dissocie le genre des organes génitaux donnés à la naissance.

On peut donc dire que la sociologie visuelle vise avant tout à accroître le pouvoir analytique des données visuelles par un engagement critique avec les pratiques visuelles de la vie quotidienne. De cette façon, la sociologie visuelle est l’application de méthodes visuelles à la recherche et à l’enquête sociologiques. Ce faisant, les sociologues intéressés par la dimension visuelle s’efforcent de créer de nouvelles façons d’enquêter sur la vie sociale et de développer de nouvelles propositions théoriques. En ce sens La sociologie visuelle concerne la construction d’images pour expliquer les phénomènes sociaux. Il s’agit d’un domaine relativement nouveau de la sociologie qui utilise des photographies et d’autres images pour étudier et expliquer les tendances sociales, les comportements et les idées.

Ainsi, la première photo de gauche, prise dans un marché public, révèle en partie l’appartenance à une certaine classe sociale de cette personne qui examine un sachet de chocolat de 250 gr. valant au bas mot 7,50 $. Elle a la possibilité de choisir ce qu’elle désire acheter. À l’inverse, la seconde photo, prise dans une banque alimentaire, révèle l’appartenance à une classe sociale moins nantie, où il n’est pas question de choisir ce que l’on veut acheter, mais bien de choisir ce qui est rendu gratuitement disponible par ceux qui ont récolté de la nourriture auprès d’épiceries ou de supermarchés.

En somme, la photographie nous aide à comprendre comment le visuel peut façonner nos perceptions du monde.

© Pierre Fraser (PhD), texte et photos, 2022

En attente d’une bordée de neige aux abords du fleuve

Comme tous les objets culturels, les photographies tirent leur signification de leur contexte. «Même les peintures ou les sculptures, qui semblent exister de manière isolée, accrochées au mur d’un musée, tirent leur signification d’un contexte composé de ce qui a été écrit à leur sujet, soit dans l’étiquette accrochée à côté d’elles, soit ailleurs, d’autres objets visuels, physiquement présents ou simplement présents dans la conscience de ceux qui regardent, et des discussions qui se déroulent autour d’elles et du sujet sur lequel portent les œuvres. Si nous pensons qu’il n’y a pas de contexte, cela signifie seulement que l’auteur de l’œuvre a intelligemment profité de notre volonté de fournir le contexte par nous-mêmes1

Que représente pour vous cette photo ? Un ancien moyen de transport que l’on attelait à un cheval en hiver ? Un artefact décoratif issu du milieu rural ? Peu importe la réponse, la signification donnée à cette photo est intimement liée aux connaissances historiques que l’on peut avoir à propos d’une époque révolue et de la fonction de cet objet.

En fait, une photo, quelle qu’elle soit, est une construction iconique, ce qui signifie qu’elle est invariablement une représentation encadrée de quelque chose de significatif que quelqu’un a créé dans un but précis à un moment donné. Ainsi, non seulement les photos ont une histoire et un sens, mais elles ont aussi souvent une carrière, voyageant d’un contexte à un autre, avec des significations radicalement différentes qui leur sont attribuées en cours de route au fil du temps.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2022
© Photo : Pierre Fraser (8 octobre 2017), Isle-aux-Coudres (Charlevoix, Québec),
    derrière le «Motel écumé par la mer».

[1] Becker, Howard S. (1995) «Visual sociology, documentary photography, and photojournalism: It’s (almost) all a matter of context», Visual Studies, vol. 10, n° 1, p. 5.

Du foie gras au macaroni

Du moment que la classe moyenne adopte certains types aliments, ils perdent ainsi le caractère de différenciation de classe, ce qui fait que les élites recherchent un nouveau raffinement qui les distingue des classes sociales qui leurs sont inférieures. (© Photo : Pierre Fraser)

Les différences alimentaires sont avant tout des différences de classe sociale et que les goûts sont façonnés par la culture et contrôlés par la société. (© Photo : Pierre Fraser)

Les normes alimentaires sont socialement produites et internalisées et passent ainsi de la sphère sociale à la sphère du sujet. À ce titre, les repères visuels de cette photo soigneusement mis en scène, renvoient à une alimentation à l’aune de la santé qui ciblent les classes sociales plus favorisées. (© Photo : Min Che)

Citer cet article
Vignaux Georges (2017), «Du foie gras au macaroni», Plan rapproché, vol. 1, n° 2, Québec : Éditions Photo|Société.

DU FOIE GRAS AU MACARONI, c’est aussi la métaphore de se nourrir en tant que pauvre ou nanti. Le foie gras au torchon est un aliment élitiste, aliment de foodie et de distinction sociale disponible dans les boutiques spécialisées pendant la période du temps des fêtes au Québec, tandis que le macaroni, nourriture de tous les jours, nourriture d’indistinction sociale, est particulièrement disponible dans les banques alimentaires. Toutefois, les deux photos de gauche pointent aussi des tendances prenant forme d’images et de métaphores. Certes, il existe des symboles liés au luxe dont fait partie le foie gras, mais certains de ceux-ci sont des produits de luxe ritualisés dans un contexte social festif, la période de Noël.

Par exemple, il suffit de parler à un Gascon, qui vous confirmera sans équivoque que le foie gras c’est à Noël, parce que les oies ont été gavées à cette époque, et que c’est un produit du terroir dans lequel se reconnaît une communauté culturelle. Donc, si le foie gras est commun dans le Sud-Ouest de la France, il est luxueux à Paris ou à l’étranger. Ainsi, le foie gras n’est pas le signe du riche, mais plutôt le signe de la tendance vers la « distinction » au sens de Bourdieu, c’est-à-dire que ça fait chic, que c’est exceptionnel, tandis que le macaroni c’est tous les jours.

Les pratiques alimentaires ne sont pas seulement des comportements ou des habitudes, mais aussi et surtout des pratiques sociales ayant une dimension imaginaire, symbolique et sociale claire. Ainsi, les pratiques alimentaires ne sont pas seulement des comportements ou des habitudes, car en cela les humains ne se différencient pas du reste de l’espèce, mais aussi et surtout, ce sont des pratiques sociales, et pour cette raison elles impliquent une dimension imaginaire, symbolique et sociale.

Dans son ouvrage La distinction, critique sociale du jugement[1], Pierre Bourdieu avance l’idée que les gens choisissent en fonction de leurs préférences, que celles-ci sont prévisibles, pour autant que l’on connaisse leur milieu social de provenance, mettant ainsi en évidence l’origine sociale du goût et la forte concurrence entre les groupes sociaux pour l’affirmation de la distinction sociale. En explorant les caractéristiques différenciées du régime bourgeois et du régime populaire, Bourdieu parvient à postuler que les différences alimentaires sont avant tout des différences de classe sociale et que les goûts sont façonnés par la culture et contrôlés par la société.

Pour sa part, Norbert Elias, dans son ouvrage Sur le processus de civilisation[2], présente une piste fort intéressante : les changements se produisent sur le long terme et certains de ces changements persistent — les ustensiles de cuisine utilisées au XVIIIe siècle sont encore utilisées. En étudiant les manières de table des classes supérieures de différentes époques, il a pu en conclure qu’il ne s’agit pas d’un changement dans une seule direction, car il existe un comportement d’imitation des élites qui, en plus de modifier le comportement de ceux qui les imitent, modifie celui des couches qui sont imitées dans un processus de différenciation progressive.

Par exemple, les manières de la classe moyenne sont modifiées et elles perdent ainsi le caractère de différenciation de classe, ce qui fait que les élites recherchent un nouveau raffinement qui les distingue des classes sociales inférieures. Pour Elias, les problèmes de changement alimentaire nécessitent une analyse des changements dans le processus de civilisation, car l’expérience historique clarifie la signification de certaines règles, tant les exigences que les interdictions, tant des habitudes de table que dans la sélection des produits. En fait, ce que met en lumière Elias, c’est comment les normes alimentaires sont produites et internalisées, comment elles passent de la sphère sociale à la sphère du sujet.

En ce qui concerne les travaux des sociologues plus classiques, l’attention s’est portée de préférence sur les aspects productifs, en utilisant l’alimentation comme moyen efficace d’apprentissage d’autres manifestations sociales : inégalité, pouvoir, religion, etc. Si la sociologie de l’alimentation a souvent été identifiée à une sociologie de la consommation alimentaire, en même temps, et sans guère de lien avec la sociologie de la consommation, s’est développé une sociologie des systèmes alimentaires qui trouve son origine dans l’économie et dans la sociologie agricole, en particulier dans les études agro-alimentaires — une ligne centrée surtout sur la production mais qui s’oriente vers le monde de la consommation.

L’un des défis actuels de la sociologie de l’alimentation est-il d’articuler les deux aspects, production et consommation, dans les mêmes cadres théoriques ? De là, la sociologie photographique peut-elle contribuer à articuler ses deux aspects ? Autrement, le cadre de Bourdieu et celui d’Elias sont-ils plus appropriés pour un travail de sociologie photographique portant sur la distinction sociale en matière d’alimentation ? La question reste ouverte.


[1] Bourdieu, P. (1979), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris : Éditions de minuit.
[2] Elias, N. (1989), La civilisation des mœurs, Paris : Pocket.

Le chapelet Bluetooth

Produite par GadgeTech Inc, la croix intelligente est posée sur un bracelet composé de dix perles noires en agate et hématite et est livrée dans une boîte emballée ressemblant à s’y méprendre à une bible.

© Images : Réseau mondial de prière du pape
© Texte de Luiki Alonso et Pierre Fraser (2022)

Cette fois-ci, la réalité virtuelle et la technologie ont rencontré l’Église catholique. Parce que la réalité dépasse souvent la fiction, un certain rêve s’est matérialisé pour les catholiques pratiquants et qui a précisément tout à voir avec la foi. Pour en faire la promotion, le Saint-Siège a transmis ce message à ses fidèles : «Destiné aux frontières périphériques du monde numérique où vivent les jeunes, l’eRosaire Click To Pray sert de pédagogie technologique pour apprendre aux jeunes à prier pour la paix et à s’instruire par l’Évangile».

Lancé par le Réseau mondial de prière du pape, ce chapelet intelligent permet aux utilisateurs de suivre la progression de chaque prière et leur fournit un guide de prière audio via l’application. En ce sens, le eRosaire renvoie bel et bien aux quatre fonctions d’un repère visuel :

  • signaler en vue de l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions ;
  • localiser d’autres repères visuels qui doivent déclencher une action (le repère visuel est élément de réseau) ;
  • confirmer qu’un individu est au bon endroit (positionnement précis sur un territoire) ;
  • combler certaines attentes (art, commerce, divertissement, finance, spiritualité, etc.).

Pour activer l’eRosaire, qui coûte environ 99 euros, les utilisateurs font le signe de la croix sur l’interface tactile et, une fois activé, peuvent choisir entre des prières standard ou à thème, qui sont mises à jour tout au long de l’année en fonction des fêtes religieuses. On remarquera donc que le eRosaire remplit tout à fait trois des quatre propriétés d’un repère visuel, à savoir :

  • distinctivité : il ne peut être confondu avec un autre repère visuel ;
  • visibilité : caractéristiques morphologiques ;
  • pertinence : ce à quoi il sert.

Et en ce sens, l’application suit les progrès du croyant dans ses prières et enregistre son activité. En outre, le chapelet intelligent suit également les données relatives à la santé, comme le nombre de pas effectués par l’utilisateur, afin d’encourager les fidèles à prendre soin de la santé du corps comme de l’âme.

À l’instar des sportifs qui sont fidèles à leur religion santéiste et possèdent des montres qui comptent les calories qu’ils perdent ou le nombres de pas qu’ils font chaque jour, le pape et le Vatican ont lancé le eRosary Click to Pray, un bracelet Bluetooth portable doté d’une interface en forme de crucifix qui suit le nombre de prières de l’utilisateur et se synchronise avec une application pour téléphone portable.

Repères visuels

Le repère visuel participe à la normalisation des comportements, conduites, jugements, attitudes, opinions, croyances, et différencie ce qu’il convient de faire par rapport à la norme dominante.
(© Denis Harvey. Date : 4 septembre 2017. Lieu : Baie-Comeau (Côte-Nord), Québec. Matériel : Nikon D7100. Ouverture : f/22. Vitesse : 1/60. ISO : 100. Distance Focale : 90 mm.)

Définition

  • 1. Le repère visuel possède quatre propriétés distinctives : la visibilité (physique, historique, morphologique), la pertinence pour l’action (gare routière, carrefour, centre commercial, etc.), la distinctivité (impossible de le confondre avec un autre), la disponibilité (stabilité relativement pérenne dans son environnement).
  • 2. Le repère visuel possède quatre fonctions précises : signaler en vue de l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions ; localiser d’autres repères visuels qui doivent déclencher une action (le repère visuel est élément de réseau) ; confirmer qu’un individu est au bon endroit (positionnement précis sur un territoire) ; combler certaines attentes (art, commerce, divertissement, finance, spiritualité, etc.).
  • 3. Le repère visuel s’inscrit à l’intérieur de deux dimensions précises : le fonctionnel, c’est-à-dire comment les réseaux travaillent le territoire et réciproquement et comment le territoire sollicite un ou des réseaux, voire hypothétiques ; le cognitif, c’est-à-dire les ancrages (repères) dans la ville, les systèmes de repérage pour le déplacement (parcours), schémas mentaux pour le parcours à pied, en voiture, etc., et qui constituent effectivement des réseaux d’appropriation locale ou globale de l’espace (territoire).
  • 4. Le repère visuel participe à la normalisation des comportements, conduites, jugements, attitudes, opinions, croyances, et différencie ce qu’il convient de faire par rapport à la norme dominante.

Le morphologique d’un repère visuel signale aussi son lien avec la favorisation ou la défavorisation, entre quartiers centraux ou quartiers embourgeoisés, etc. ; le morphologique distingue. (© Pierre Fraser (PhD), 2015)

Les 4 propriétés d’un repère visuel

  • visibilité : caractéristiques morphologiques ;
  • distinctivité : il ne peut le confondre avec un autre ;
  • pertinence : ce à quoi il sert ;
  • disponibilité : stabilité dans l’environnement.

Presque tout, dans notre environnement, est repère visuel. Qu’il s’agisse des objets utilitaires du quotidien, des vêtements, du mobilier urbain, de l’architecture — lieux d’habitation, de culture, de culte, de commerce, de festivités, de production industrielle, de restauration, de santé, de scolarisation, de tourisme —, en passant par les moyens de déplacement et la signalisation qui les accompagnent, jusqu’à la représentation symbolique des missions régaliennes de l’État, tout est visuel.

De l’extérieur, on différencie l’hôpital du palais de justice par sa configuration architecturale. De l’intérieur, le décorum de l’hôpital se différencie totalement de celui du palais de justice : le personnel médical est vêtu de façon à signaler la prestation de soins — sarrau blanc, stéthoscope, masque de procédure — alors que le personnel judiciaire est vêtu de façon à signaler la prestation de prescriptions légales — policiers en uniforme et armés, agents de sécurité en uniforme, avocats et juges portant la toge. Il est impossible de confondre un hôpital avec un palais de justice, tout comme il est impossible de confondre un restaurant avec une quincaillerie. Cette impossibilité de confusion des genres visuels est liée au fait que chaque lieu possède ses propres repères visuels qui sont eux-mêmes liés à des codes visuels spécifiques.

Ces codes visuels sont enchâssés dans la fonction à laquelle ils sont dédié — le morphologique. Par exemple, le cardiomètre ne peut être confondu avec le marteau du juge, ni le pain acheté à l’épicerie avec le flacon d’aspirine — la distinctivité. Alors que la seringue a pour fonction d’injecter un quelconque liquide dans le corps dans le but de délivrer un traitement, la borne de recharge sert à recharger un véhicule électrique — la pertinence. Dans un hôpital on retrouvera tout le matériel médical nécessaire pour dispenser des soins de santé, alors que dans une église on retrouvera tous les objets servant à la dispensation du culte — la disponibilité. En somme, la visibilité d’un repère visuel tient par sa morphologie, sa distinctivité, sa pertinence et sa disponibilité. En ce sens, photographier un milieu de vie, c’est avant tout être en mesure de reconnaître les repères visuels qui le constituent.

En fait, l’environnement urbain et rural est constitué de repères visuels qui tracent des parcours à la fois géographiques et sociaux. Ces parcours s’inscrivent par la suite dans des territoires, eux aussi, à la fois géographiquement et socialement délimités. Par exemple, chaque quartier, qu’il soit favorisé ou défavorisé, possède certains repères visuels qui lui sont propres. Ce qui vaut dans un quartier ne vaut pas nécessairement dans l’autre ; on ne retrouvera pas dans un quartier cossu des murs ou des infrastructures graffités, alors qu’on en retrouvera plusieurs dans les quartiers centraux.

Dans un marché public, le commerçant peut jouer d’ingéniosité pour attirer le client par la présentation de son étal. (Photo Pierre Fraser, 2018)

À la banque alimentaire, les produits sont disposés pêle-mêle sur des tables alignées les unes à la suite des autres — signaler autrement. (Photo Pierre Fraser, 2018)

© Denis Harvey (2017)
© Georges Vignaux (PhD) et Pierre Fraser (PhD), 2016 / texte
© Photos d’articles : Pierre Fraser (2018)
© Vidéo : Pierre Fraser (2021)

Les 4 fonctions d’un repère visuel

  • signaler en vue de l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions ;
  • localiser d’autres repères qui doivent déclencher une action (le repère est élément de réseau) ;
  • confirmer qu’un individu est au bon endroit et/ou qu’il adopte les comportements appropriés ;
  • combler certaines attentes.

Chaque repère visuel signale l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions. Par exemple, fréquenter un supermarché ou un marché public versus une banque alimentaire sont deux expériences fort différentes même si la finalité relève de la même logique : s’alimenter. Aux fins de ma démonstration je mettrai en opposition un marché public (marché du Vieux-Port de Québec) et une banque alimentaire (La Bouchée Généreuse, quartier Limoilou, Québec).

La disposition d’un marché public doit répondre à une seule contrainte : rendre accessibles le plus facilement possible les produits à vendre — signaler, localiser, confirmer. Chaque commerçant dispose dès lors d’un espace qu’il loue, qui lui est attribué et qu’il peut aménager à sa guise, tout en respectant les règles édictées par le propriétaire des lieux. Certains commerçants, un peu plus fortunés, louent des espaces qu’ils configurent un peu comme une boutique, avec une porte d’entrée, d’où parfois l’impression d’être confronté à une consommation structurée et organisé, alors que le client cherche avant tout une « expérience » d’authenticité et de contact direct avec le vendeur et/ou le producteur. La configuration de vente, quant à elle, est classique : un ou des présentoirs sur lesquels sont déposés et alignés les produits à vendre. Pour le reste, il en va de la créativité du commerçant pour mettre en valeur sa marchandise. Et cette créativité se décline de plusieurs façons.

La banque alimentaire, tout comme le marché public, est confrontée à une seule et même contrainte : rendre accessibles le plus facilement possible les produits offerts gratuitement — signaler, localiser, confirmer. Cependant, il y a une différence, et cette différence est majeure : alors que le commerçant du marché public joue d’ingéniosité dans la mise en valeur de ses produits pour attirer le consommateur, la banque alimentaire n’a pas à se préoccuper de cette portion de la transaction commerciale : les produits sont disposés pêle-mêle sur des tables alignées les unes à la suite des autres — signaler autrement. Il s’agit de mettre en place un circuit de denrées et de produits, un peu comme à la cafétéria, où le bénéficiaire se sert à la carte à travers une offre souvent fort limitée de produits.