Architecture et territoire
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Les gens qui sont peu familiers avec l’idée du vélo comme véritable moyen de transport considèrent parfois Amsterdam — la célèbre capitale hollandaise favorable au cyclisme — comme un pays imaginaire qui a très peu à voir avec la réalité du transport, soit celle des automobiles et des camions. Une mise au point s’impose donc, car Amsterdam a réellement réussi à mettre au point un système de transport parmi les plus performants et efficaces au monde, à la fois pratique, abordable, propre, sûr, efficace et articulé autour du concept de développement durable.
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Il faut souligner le fait que la mise en œuvre et le maintien d’un réseau de transport urbain centré sur le vélo est tout sauf un jeu d’enfant, compte tenu de la complexité inhérente liée à la planification, la conception et la réglementation, sans compter les enjeux politiques qui doivent être négociés pour maintenir le tout dans un état de fonctionnement fluide et efficace. Partant de là, est-il possible de transposer le modèle d’Amsterdam aux villes nord-américaines, tant aux États-Unis qu’au Canada. En fait, il s’agit de tout un ensemble de petites nuances dans le design de l’espace public qui permet d’y arriver et surtout à quel point le modèle peut-être difficilement transposable.
Concevoir une ville où la plupart des déplacements sont effectués à vélos exige de rejeter, et ce, de façon drastique, les traditionnelles façons de penser articulées autour de la voiture. En fait, tout au cours des 60 dernières années, les dirigeants, les planificateurs et les concepteurs d’Amsterdam ont créé, souvent par tâtonnements, le modèle d’une ville où le vélo serait l’axe dominant en termes de moyens de transport. Concrètement, ce modèle comporte cinq caractéristiques essentielles, et si l’une ou deux de ces caractéristiques n’est pas implantée, il sera quasi impossible de transposer ailleurs le modèle d’Amsterdam.
1. Toutes les rues sont conçues pour le vélo
Dans la plupart des villes européennes et nord-américaines, le réseau de pistes cyclables est généralement beaucoup moins dense que le réseau routier général dédié à la circulation automobile. À l’inverse, à Amsterdam, la carte du réseau routier EST la carte du réseau cyclable. D’ailleurs, presque toutes les rues de la ville disposent d’excellentes infrastructures permettant une utilisation efficace du vélo, quel qu’en soit le type. De plus, à Amsterdam, les chances sont beaucoup plus élevées que vous ayez besoin d’une carte routière pour vous déplacer dans la ville en voiture, que d’une carte routière pour vous déplacer dans la ville en vélo, tellement la signalisation a été conçue pour le vélo, tellement de nombreuses rues ont un accès limité aux automobiles.
2. Des pistes cyclables séparées et non pas des pistes cyclables sur la chaussée
Amsterdam comporte peu de pistes cyclables à même la chaussée où circulent les automobiles — modèle que l’on retrouve encore dans plusieurs villes nord-américaines. En fait, sur les rues à vitesse plus élevée, la norme est désormais des pistes cyclables séparées et surélevées, procurant ainsi non seulement une plus grande sécurité aux cyclistes, mais diminuant aussi de façon significative le stress lié au fait de circuler sur la même voie que les automobiles. Si, aux États-Unis, les voies séparées sont encore assez rares, car les voies peintes à même la chaussée où circulent les voitures coûtent beaucoup moins chères, les choses commencent pourtant à changer. Selon le Green Lane Project, entre 2011 et 2016, aux États-Unis, le nombre de pistes cyclables protégées (similaire aux pistes cyclables néerlandaises) a quadruplé. Les voies protégées sont donc devenues des outils si importants, que les défenseurs de ce type de moyen de transport en demandent encore plus. Comme le souligne Rock Miller dans un article publié pour le compte du Transportation Research Board à propos de l’histoire de la planification cyclable aux États-Unis, ce passage à des pistes cyclables séparées plutôt qu’à des voies cyclables sur rue représenterait un changement historique majeur en Amérique en matière d’aménagement urbain. Et comme le démontre l’expérience d’Amsterdam, il s’agit là d’une façon de procéder qui a fait ses preuves.
3. Si possible, éliminer totalement la voiture
Même s’il est encore trop tôt pour appeler cela une tendance, il n’en reste pas moins que les urbanistes d’Amsterdam ont récemment commencé à convertir ce que les Hollandais appellent « woonerfs », et ce que les Américains appellent « complete streets », en rues partagées sans aucune circulation automobile. Un exemple tout à fait éloquent de la chose est bien celui du Plantage Middenlaan, qui comportait auparavant des voies de tramway, des voies de circulation, des pistes cyclables et des trottoirs. Comme le montre la photo ci-dessous, les voies de circulation ont disparu et ce qui reste, ce sont plutôt des voies de tramway sur l’herbe, des pistes cyclables rouges et des trottoirs aménagés dans un parc linéaire agrandi.
4. Deux vitesses et les deux sont lentes
Amsterdam possède deux zones de vitesse pour toutes les rues de la ville : 50 km/h et 30 km/h. Le contrôle de la vitesse, ici, n’est pas laissé au bon gré du conducteur, mais bien à des aménagements spécifiques — pavage texturé, ralentisseurs, dos d’âne, rues plus étroites, intersections surélevées — qui obligent ce dernier, en quelque sorte, à ne pas dépasser la limite de vitesse indiquée. Du point de vue du cycliste, le fait que ce type d’aménagement oblige les voitures à ralentir, est tout simplement un coup de génie. Autrement dit, alors que le cycliste peut rouler à vitesse constante d’un point à un autre sans être gênée par des voitures qui ont priorité, ici c’est le cycliste qui a priorité. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que le taux de mortalité routière d’Amsterdam est inférieur à celui de la plupart des villes de taille similaire, avec seulement deux décès pour 100 000 personnes, un nombre qui a été réduit de moitié ces 20 dernières années et de deux tiers au cours des 30 dernières années.
5. Intersections sans stress
Concevoir des intersections sûres pour les vélos et les voitures est un véritable défi. Par exemple, alors que certaines villes européennes et nord-américaines ont mis au point des solutions complexes à la Rube-Goldberg, c’est-à-dire des dispositifs complexes et inefficaces, à Amsterdam, les intersections conçues pour les cyclistes ont plutôt tendance à être relativement simples. Et si la simplicité prévaut en la matière, c’est bien parce que le mandat d’aménagement urbain est bien d’accommoder la circulation à vélo plutôt que la circulation automobile. Par exemple, les aménagements en silo sont rarement utilisés à Amsterdam pour les vélos tournant à gauche à des intersections plus larges. À l’inverse, la conception par défaut est d’utiliser une approche en deux étapes pour les virages à gauche : (i) d’abord les cyclistes traversent une rue perpendiculaire, puis ils traversent la seconde ; (ii) chaque rue dispose de son propre signal de circulation pour les vélos. L’ensemble du processus est simple et sans stress.
Faut-il ici préciser qu’Amsterdam n’a pas toujours été aussi favorable aux vélos qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les progrès que nous constatons actuellement sont le fruit d’une volonté politique municipale qui a fait son chemin depuis le début des années 1970. Par exemple, en 1990, 38 % de tous les déplacements étaient effectués en voiture, alors que ce pourcentage est aujourd’hui de 24 %. Donc, l’une des conséquences positives de l’abandon de la planification des transports conventionnels est que l’on obtient moins de trajets en voiture. Conséquemment, il s’est en quelque sorte créé un cycle vertueux pour la ville, en ce sens que moins de places sont réservées aux voitures, ce qui entraîne moins de déplacements en voiture, ce qui réduit d’autant l’espace consacré aux voitures. Ainsi, l’espace libéré par les automobiles a été récupéré au profit des gens à travers des aménagements urbains — parcs linéaires, parcs urbains — qui facilitent le déplacement actif et favorisent le lien social.
Finalement, l’un des aspects les plus fascinants du transport dans la ville d’Amsterdam réside dans le fait que les ingénieurs et les planificateurs de la ville sont toujours prêts à expérimenter de nouvelles approches. Évidemment, comme rien n’est parfait en ce bas monde, il y a parfois des initiatives qui ne fonctionnent pas tout à fait comme prévu. Par exemple, le fait de permettre aux petits scooters électriques dédiés aux personnes à mobilité réduite ou les Segway d’utiliser les pistes cyclables pose des problèmes de logistique tout à fait particuliers. D’ailleurs, à ce sujet, la ville d’Amsterdam en a interdit l’utilisation dès 2018.
Constats
Ce qu’il faut retenir de l’expérience d’Amsterdam, c’est de voir comment la ville a évolué et d’observer à quel point elle peut devenir encore plus cyclable. La limite de personnes utilisant le vélo comme moyen de transport a-t-elle été atteinte ou sera-t-il possible de faire passer la part des déplacements à bicyclette à 60 % ou même au-delà ? Même si cette question peut sembler pour le moment théorique, il n’en reste pas moins qu’une autre, tout aussi théorique, se pose, alors que l’arrivée de véhicules autonomes, automobiles et camions, est imminente : est-ce que ce type de véhicule sera en mesure de partager efficacement cet espace conçu pour le vélo ?
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À propos
Production : Photo|Société
Concept : Pierre Duchesne
Réalisation : Pierre Fraser
© 2024
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